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« Pouvons-nous, par nos propres forces, observer les commandemens et éviter le péché ?

« Non ; nous ne pouvons observer les commandemens et éviter le péché qu’avec la grâce de Dieu.

« Qu’est-ce que la grâce ?

« La grâce est un don surnaturel ou un secours que Dieu nous accorde par pure bonté et en vue des mérites de Jésus-Christ, pour nous aider à faire notre salut.

« La grâce nous est-elle nécessaire ?

« Oui, la grâce nous est si nécessaire que sans elle nous ne pouvons rien faire qui soit utile à notre salut.

« Dieu nous donne-t-il toujours la grâce ?

« Oui, Dieu nous donne la grâce toutes les fois que nous en avons besoin et que nous la demandons comme il faut. »

Pressons un peu ces dernières paroles : Dieu accorde la grâce quand on la demande comme il faut. Mais, pour la demander ainsi, ne faut-il pas déjà l’avoir ? Oui, évidemment ; car si nous pouvions demander la grâce sans l’avoir déjà, nous ferions donc sans elle une chose utile pour notre salut, ce qui vient d’être déclaré impossible. Ainsi, dire que Dieu accorde la grâce quand elle est bien demandée, c’est dire qu’il l’accorde quand il l’accorde, et rien de plus. Et s’il ne l’accorde pas, nous sommes dans l’impossibilité de la demander par nos propres forces.

C’est donc la grâce qui fait tout en nous, et non pas nous-mêmes. Dieu, qui la donne, la donne gratuitement, puisque nous ne pouvons par nous-mêmes la mériter, et c’est en cela précisément qu’elle est la grâce. Celui à qui il la donne est sauvé, celui à qui il la refuse est perdu. Ces conséquences sont nécessairement enveloppées dans les principes posés par le Petit Catéchisme, Les théologiens les ont déduites intrépidement et les suivent plus loin encore. Ils en tirent, par un enchaînement inévitable, le dogme de la prédestination. De toute éternité, Dieu sait ce qu’il sait et veut ce qu’il veut : il sait donc de toute éternité qu’il doit donner gratuitement sa grâce à tel homme, ou plutôt de toute éternité, il la lui donne, comme il la refuse à tel autre. Celui-là est donc de toute éternité prédestiné au salut, et celui-ci à la damnation. Le Petit Catéchisme s’est gardé de toucher un seul mot de cette doctrine, car il n’a pas osé la professer, et il ne pouvait pas l’écarter.

On s’arrête ici tout d’abord et on se demande comment l’église a jamais pu parler ainsi ; comment elle a porté un tel défi à la nature révoltée, en posant en dogme que notre salut ou notre perte dépend uniquement d’une grâce qui ne dépend pas de nous. Comment cela s’est fait, j’essaierai de l’expliquer tout à l’heure : je constate d’abord que le dogme est ce que je viens de dire, et que ce dogme