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chemin. Je vous ai, chère mère, révélé le secret de mon angoisse ; si j’échoue, on dira que je vous ai sacrifiée à mon ambition insensée. Mais je vous ai ouvert mon cœur et votre témoignage me suffira.


Le livre était imprimé, mais tout n’était pas fini. La législation sur la presse imposait à Lanfrey l’obligation de trouver un libraire qui voulût bien se charger de vendre l’ouvrage et d’y mettre son nom comme éditeur. « Aucun n’osait se risquer. » Son impatience était extrême à la pensée des deux mille volumes qui allaient encombrer sans écoulement possible sa petite chambrette de la rue de Trévise. « Enfin j’ai accroché hier un éditeur à la baïonnette (car c’était mon Sébastopol, et il me fallait vaincre ou périr), et il est tout simplement le premier libraire de Paris. Il m’a fort bien accueilli et augure beaucoup de mon œuvre. » Tout était désormais en règle, et ainsi se termine la longue série des tribulations que dans sa correspondance avec ses amis restés en Savoie, Lanfrey appelait « sa montée au calvaire. »

Pourquoi m’interdirais-je de relater ici un trait qui fait honneur à Lanfrey et se rapporte précisément à ces années pendant lesquelles sa mère et lui avaient à lutter contre les terribles embarras dont nous venons de parler ? Une cousine de la famille, ayant perdu son mari, restait seule et dénuée de ressources avec une petite fille à sa charge. Mme Lanfrey voulut contribuer à son éducation, et voici en quels termes son fils la félicite de sa généreuse détermination :


Merci, chère et bonne mère, de la joie que vous m’avez donnée ; n’eussions-nous qu’un morceau de pain, notre devoir serait encore de le partager avec ceux qui sont plus malheureux que nous ; à plus forte raison devons-nous le faire avec des personnes qui nous tiennent de si près.


Chose singulière ! l’établissement dont Lanfrey fit choix pour recevoir la jeune fille fut un couvent. Déjà, avant de l’y installer, il avait fait toutes les démarches qui dépendaient de lui afin de retrouver et d’envoyer au père de cette enfant, alors sur son lit de mort, la copie de deux prières autrefois composées par une parente de la jeune fille, personne pieuse et tenue en grande vénération par tous les siens. « Si depuis longtemps je ne connaissais cette âme de sainte et ses longues douleurs, ces prières, écrit Lanfrey, seraient à elles seules pour moi toute une révélation. »

Avec sa cousine il entretient une correspondance amicale pleine de sages conseils et de pensées élevées. Les paroles affectueuses qu’il lui adresse sont touchantes venant d’un jeune homme, presque d’un écolier, alors si fort absorbé par un travail dont l’inspiration