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donner la trente-deuxième division, les départemens de l’Elbe, sous prétexte que la trente-deuxième division avait été incorporée à l’empire par un sénatus-consulte. Rien ne montre mieux le point où se séparaient l’intérêt français et ! e système napoléonien. Mais, toute politique mise à part, ce qu’il y a de frappant, c’est l’attitude de Davout, laissé à lui-même, réduit à ne plus écouter que le devoir du soldat ; c’est là qu’était la force du caractère. À dater d’octobre 1813, et surtout à partir de novembre, Davout est enfermé à Hambourg, bloqué par soixante mille alliés, Russes de Benningsen, Allemands de Walmoden, et pendant près de six mois, ne recevant plus d’ordres, ayant à peine des nouvelles, il ne faiblit pas un instant. Il suffit à tout, multipliant les défenses de la place, ayant l’œil sur les approvisionnemens qui vont manquer, sur les glaces de l’Elbe qui le mettent en péril, sur l’ennemi qui renouvelle sans cesse ses assauts, épiant le point vulnérable. Il partage les épreuves de ses soldats, il vit au milieu d’eux et souvent il se met à leur tête, il conduit la charge. Il en impose tellement qu’il n’a même pas besoin d’une garde au milieu d’une population hostile, dans une ville exaspérée. Ce qui se passe au loin, il ne le sait que vaguement, et tandis que l’empire s’écroule à Paris, il le défend toujours. Lorsque les chefs alliés lui annoncent la restauration, il refuse les nouvelles venant de l’ennemi, il demeure inébranlable comme une sentinelle qui n’a pas été relevée de son poste. On lui oppose le drapeau blanc de la nouvelle royauté française, il tire sur le drapeau blanc, non par colère ou par haine, mais par devoir militaire. Il se tient en garde contre toute surprise, se battant jusqu’au bout. Il ne cède que devant l’évidence, lorsqu’il reçoit de Paris des ordres officiels, et alors l’armée de Hambourg, forte encore de trente mille hommes, peut sortir, tambour battant, avec ses canons et ce qui lui reste de ses chevaux. Dernière victoire dans les désastres de la France d’autrefois !

C’est à cette école que peut se retremper et se relever l’esprit militaire. Si M. le ministre de la guerre veut offrir des modèles à notre armée nouvelle, il n’a qu’à conseiller à nos chefs l’étude de la vie et du caractère de ce soldat sévère pour lui-même avant de l’être pour les autres, ponctuel jusqu’à la rigidité dans le service, habile à former par la rigueur de la discipline un corps demeuré fameux, sûr des hommes qu’il commande parce qu’il est tout à eux et ne manquant jamais à l’heure décisive. Il n’y a pas tous les jours sans doute des Davout ou des Masséna pas plus qu’il n’y a des Turenne, et à la vérité les uns ou les autres ne se forment et ne se dégagent que par la guerre ; mais on peut du moins apprendre par eux ce que c’est que l’esprit militaire, comment se compose une armée digne de la France, faite pour mériter le succès, si des circonstances heureusement peu vraisemblables aujourd’hui devaient dans l’avenir interrompre encore une fois la paix que tout le monde semble désirer.