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des retraites, pour la reconstitution d’un matériel perdu, il faut autre chose pour refaire une armée : il faut le génie de l’organisation et de l’ordre, l’esprit de suite, la puissance de la volonté, la sève militaire, le culte des fortes traditions et des exemples parlans. Il est bon de raviver de temps à autre, pour la jeunesse groupée sous le drapeau, même pour les chefs de l’armée nouvelle, l’image de ceux qui ont été de grands, d’intègres et héroïques soldats. Rien de plus intéressant sous ce rapport que le livre récent dû à une piété filiale, le Maréchal Davout, prince d’Eckmühl, raconté par lui-même et par les siens ; rien de plus instructif et de plus émouvant que cette série de récits dont le plus récemment paru a pour titre : le Dernier Commandement, l’Exil et la Mort. C’est le quatrième volume d’un ouvrage où tout est un peu confondu, où les souvenirs de famille se mêlent à l’histoire et où l’homme apparaît à travers l’héroïsme stoïque du soldat. Davout, comme chef de corps ou chef d’armée, a sa place dans l’histoire militaire de l’empire, une des premières places, si ce n’est la première, après Napoléon, qui disait de lui en le voyant un jour à l’action : « Voyez comme il manœuvre, il va me gagner encore cette bataille ! » L’homme était moins connu ; il était resté avec cette légende de dureté et de rigueur qui a trompé plus d’un historien. C’est précisément l’intérêt de ce livre de montrer que la légende n’était qu’une légende, que l’homme était bon, sensible, délicatement tendre dans ses attachemens et très humain. Sévère dans le service sans être impitoyable, il livrait lui-même le secret de son apparente inflexibilité : « faire plus de peur que de mal pour atteindre le but désiré. »

Le Dernier Commandement, qui est comme le glorieux couronnement d’une grande carrière, c’est le siège de Hambourg, raconté ici, heure par heure, avec une dramatique simplicité dans un « journal » du général César de La Ville, chef d’état-major du maréchal. C’est cet épisode, qui a presque disparu dans les catastrophes de 1813-1814, qui garde néanmoins un double intérêt et par sa signification historique, morale, et par le rôle de celui qui en a été le héros. Le siège de Hambourg, à vrai dire, c’est la saisissante révélation des excès, des fatalités d’un système qui, au moment même où l’invasion débordait de toutes parts dans nos provinces, fixait dans une contrée lointaine, au nord de l’Europe, sous le chef le plus intrépide, une armée de près de quarante mille hommes qui eût été bien plus utile en Champagne. Vainement Napoléon renouvelait sur la Marne ses miracles de génie guerrier, il expiait les fautes d’une politique qui avait l’ambition de dominer partout à la fois, de la Baltique au Tage, qui se voyait maintenant assaillie et refoulée de tous côtés, par le Rhin, par la Belgique, comme par les Pyrénées. La vraie France se trouvait compromise pour cette chimère de l’empire d’Occident qui s’obstinait jusqu’au bout, qui refusait d’aban-