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seulement en vue les intérêts commerciaux, il s’est inspiré d’une pensée de patriotisme, de « préservation nationale, » selon son expression. Il est parti de ce point qu’il est nécessaire pour nous de reconstituer un équivalent de nos forces perdues, que dans un moment donné une des faiblesses de la France est d’avoir son armée navale coupée en deux parties dont la jonction peut être rendue impossible. Ouvrir à travers nos régions méridionales une voie par où nos forces maritimes puissent se rejoindre, c’est l’objet national, patriotique. L’objet commercial, c’est de créer un transit de plus, d’empêcher que la France ne finisse par être isolée au milieu des grands courans qui tendent à s’établir dans d’autres directions. Les études sont déjà faites, elles ont démontré que les difficultés d’exécution n’avaient rien d’insurmontable. L’honorable vice-président du sénat a soumis son projet à M. le ministre des travaux publics, qui, à son tour, selon la coutume, a nommé une commission pour en délibérer, après quoi le travail de la commission passera au conseil des ponts et chaussées, après quoi l’opinion du conseil des ponts et chaussées reviendra au gouvernement, tout cela sans doute pour prouver une fois de plus que l’état est le plus expéditif des entrepreneurs. Le gouvernement est saisi, et s’il est occupé ailleurs ou s’il ne veut pas se charger pour son compte de l’exécution du projet, M. Duclerc ne cache pas qu’il est résolu à prendre lui-même la direction d’une œuvre d’une évidente importance pour les contrées du Midi, pour les intérêts du commerce, pour notre marine militaire. Ce serait Gibraltar annulé par le percement de l’isthme méridional français, comme dans des proportions plus vastes le cap de Bonne-Espérance a été annulé par le canal de Suez. C’est dans tous les cas un objet digne d’étude, et plutôt que de s’épuiser en médiocres querelles, plutôt que de faire de la politique avec des passions vulgaires, des préjugés, des convoitises, des représailles de parti, des déclamations banales, mieux vaudrait sûrement tourner vers ces œuvres d’utilité l’attention des pouvoirs publics, de tous ceux qui veulent travailler à l’avenir du pays.

Après cela, quelque importance qu’aient de nos jours les questions économiques, elles ne sont pas tout, et soit dit sans injustice, c’est peut-être la faiblesse du temps de se fier un peu trop, un peu exclusivement à la vertu des améliorations matérielles, de trop croire qu’un pays éprouvé se relève avec des chemins de fer et de l’argent. On a beau être riche, décréter pour 4 milliards de travaux, la richesse seule ne rend pas à un peuple sa grandeur, sa place dans le monde. On a beau construire des écoles primaires, multiplier et rétribuer généreusement les instituteurs plus ou moins laïques, cela ne suffit pas pour rouvrir les sources de la vie intellectuelle. On a beau inscrire au budget de la guerre près de 600 millions, accumuler les réformes ou les prétendues réformes, faire des lois pour l’amélioration des traitemens et