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aujourd’hui par le rachat, ce serait d’assumer la charge nouvelle d’un capital de 10 milliards, d’inscrire au budget une annuité qui irait de 400 à 500 millions. Sans doute en assumant une charge, l’état aurait en compensation des recettes qui pourraient suffire à couvrir l’annuité, qui varieraient d’ailleurs selon la manière dont les chemins de fer seraient administrés. Dans tous les cas, le capital ne resterait pas moins incorporé à la dette publique, qu’il porterait au-delà de 30 milliards. Qu’on y réfléchisse bien : est-ce une politique financière sensée ? Dans la situation du monde, dans les conditions qui ont été faites à la France, avec les chances qui ne sont pas impossibles, et les prévisions qui ne sont pas interdites, est-ce qu’il y aurait de la prudence à surcharger à ce point la dette, à engager à fond toutes les ressources du pays, à ne rien réserver pour les circonstances extraordinaires qui pourraient se produire ? Y aurait-il de la prévoyance à briser comme à plaisir des instrumens de crédit qui ont été plus d’une fois, qui peuvent être encore un appui pour l’état lui-même ? Supposez que, dans le feu de cette funeste guerre d’il y a dix ans, l’état eût été ce qu’on veut le faire, qu’il eût eu déjà tous les monopoles qu’on rêve aujourd’hui, que la Banque n’eût pas existé avec l’indépendance qui fait sa force : la débâcle financière eût été infaillible et universelle. Que des crises nouvelles se produisent, est-ce que l’état n’a pas tout à gagner à trouver autour de lui, dans ces associations puissantes des chemins de fer comme dans la banque, des auxiliaires énergiques et efficaces du crédit national ?

Le malheur est qu’en tout cela on agit avec confusion et impatience, souvent par des calculs de parti ou de circonstance, sans paraître avoir une idée distincte, précise, du vrai rôle de l’état et du rôle que peuvent prendre utilement des institutions indépendantes, filles de l’esprit d’association. On veut faire des chemins de fer républicains comme on veut faire une magistrature républicaine, et pour cela on ne trouve rien de mieux que de commencer par tout bouleverser, en engageant l’état dans tous les hasards. Au lieu de briser des forces qui existent, que ne songe-t-on à en créer de nouvelles, sauf à rectifier s’il le faut toutes ces manifestations d’une activité indépendante ? Au lieu de se livrer à des agitations stériles et de se jeter à la poursuite de cette chimère ruineuse du rachat des chemins de fer, que ne s’attache-t-on à des réformes plus pratiques, plus simples, quoique grandes encore, à des œuvres plus réalisables ? Il reste certainement assez à faire pour occuper à la fois l’état et l’industrie privée. Il y a des œuvres en préparation, faites pour exciter une attention sympathique, comme ce projet d’un canal maritime entre l’Océan et la Méditerranée sur lequel des conseils-généraux du Midi ont aussi récemment émis des vœux. C’est un des vice-présidens du sénat, un homme ayant l’expérience des affaires, M. Duclerc, qui a pris l’initiative de ce projet, et il n’a pas eu