Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/444

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appartemens privés du prince que dut se passer l’échange des vœux, formalité particulièrement désagréable aux Hindous de la vieille roche.

Une semaine plus tard, le jeune maharajah prenait la route de Calcutta pour s’embarquer à destination de l’Europe. Ce voyage, qui devait compromettre ses privilèges de caste, causait aux orthodoxes de Couch-Behar une impression peut-être plus pénible encore que son mariage avec la fille d’un brahmaïste. Une dépêche, publiée par l’Indian Mirror du 13 mars, rapporte qu’à l’annonce de son départ les ranies, affolées de douleur, s’étaient, frappé la tête contre les murs, « au point de saigner abondamment, » et que le prince avait dû chercher un refuge contre leur désespoir dans la résidence du député-commissaire, sans même se hasarder à leur faire ses adieux. Voici du reste un passage de la pétition que ces princesses adressèrent aussitôt au commissaire de Couch-Behar : « Nous sommes de pauvres femmes sans appui. Vous êtes sage et puissant. L’honneur et le prestige de notre maison se trouvent entre vos mains. Nous réitérons nos supplications pour que vous n’envoyiez pas en Angleterre, contrairement au vœu de tous, un prince qui est encore mineur. Ses serviteurs ont tous pris la fuite ; son cuisinier refuse de le suivre, et nous ne pouvons pas lui en trouver d’autre parmi les hommes de sa caste. Si vous n’êtes pas insensible à cette dernière ; considération, si importante au point de vue de notre caste et de notre religion, nous vous prions de transmettre immédiatement cette pétition au gouverneur du Bengale. Quand notre caste et notre religion, la vie présente et la vie future, sont également en danger, toutes impuissantes et isolées que nous soyons, nous en appellerons, s’il le faut, jusqu’au trône brillant de l’impératrice de l’Inde. » — Il convient d’ajouter que les autres parens du rajah s’étaient même abstenus de paraître à son mariage.

Tous ces incidens, si ridicules et futiles qu’ils puissent paraître à distance, n’ont rien d’extraordinaire pour quiconque réfléchit au caractère profondément formaliste de l’antique société hindoue subitement mise en contact avec les influences dissolvantes de la civilisation européennes. Quand on voit les difficultés, sinon la défaveur, que les unions mixtes rencontrent, même dans un grand nombre de pays où existe le mariage civil, on ne peut être surpris de l’importance attaché aux moindres formalités qui devaient faire de cette union princière un mariage hindou ou un mariage brahmaïste. On ne s’étonnera pas davantage d’apprendre qu’orthodoxes et réformateurs se trouvèrent également désappointés du résultat. Les Hindous se plaignaient qu’on eût omis, au profit d’un culte hérétique, certaines formalités essentielles de leur liturgie ; les