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dirigeait l’administration pendant la minorité du souverain, et le parti orthodoxe, ouvertement soutenu par les princesses de la maison royale, les ranies. Alors que les fêtes préliminaires avaient déjà duré cinq jours, la mère et la grand’mère du jeune prince firent savoir, à l’instigation de leurs pandits, que Keshub, ayant perdu sa caste, ne pouvait assister à la cérémonie nuptiale dans l’enceinte consacrée, — que les brahmanes revêtus du cordon symbolique seraient seuls admis à officier, — qu’on retrancherait du rituel toutes les expressions introduites par les brahmaïstes, y compris le passage relatif au consentement de la fiancée, — enfin que les époux auraient à célébrer le hom (adoration du feu). — Ces prétentions furent communiquées à Keshub dans la soirée du 4 février. Toute la journée suivante se passa vainement à chercher une transaction ; cependant Keshub, pour ne pas interrompre le cours régulier de la noce, avait déjà livré sa fille au cortège qui devait la remettre entre les mains des ranies, lorsque, poussé à bout par les exigences des pandits, il déclara préférer la rupture du mariage, quelque scandale qu’il dût en résulter. Mais on lui répondit qu’il était trop tard et qu’on ne lui rendrait pas sa fille, s’il ne consentait à supporter les premiers frais de la noce, — un lac et demi de roupies, — soit trois cent soixante-quinze mille francs ! Un instant, il voulut passer outre, mais ses amis le calmèrent, et grâce à l’intervention du député-commissaire, un arrangement fut conclu sur les bases suivantes : la fiancée serait conduite à l’autel par son oncle, Khrisna-Bihari-Sen, brahmaïstes qui n’avait point perdu sa caste ; on suivrait le rituel primitivement arrêté entre les négociateurs ; la jeune épouse pourrait se retirer après cette partie de la cérémonie, et le hom serait célébré en présence du rajah seul. Il était deux heures du matin quand se terminèrent ces pourparlers qui duraient, sans interruption, depuis la veille à l’aube. On se rendit immédiatement dans la cour d’honneur qui avait été aménagée pour la cérémonie. Les brahmaïstes, auxquels on avait solennellement promis de n’introduire aucun symbole d’idolâtrie furent désagréablement surpris d’y rencontrer certains objets de forme équivoque, tels que des jarres d’eau à demi recouvertes par des feuilles de bananier et surtout deux espèces de piliers, hauts d’un mètre et demi, enveloppés dans des couvertures de drap rouge. C’étaient probablement les images de Har et de Gouri, divinités tutélaires des mariages hindous, qu’on avait ainsi trouvé moyen d’inviter incognito à la noce. Cependant le député commissaire apaisa tant bien que mal les défiances des brahmaïstes, et la cérémonie se poursuivit sans encombre, jusqu’au moment où les amis de Keshub voulurent réciter les prières de leur liturgie. Leurs voix furent couvertes par les clameurs de l’assistance, et ce fut dans les