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Keshub, prenant texte de sa doctrine sur les prophètes, non moins que des témoignages de vénération qu’une partie de ses disciples lui prodiguaient à la mode orientale, l’avaient accusé de vouloir ressusciter à son profit la théorie des incarnations divines. Mais l’exagération même de ce reproche avait contribué à affermir son influence, tant à Calcutta qu’en province, et, plus que jamais, il semblait personnifier toute son église, lorsque l’événement dont il nous reste à parler ouvrit les yeux à quiconque n’était pas complètement envahi par la contagion de ces extravagances mystiques.


VII.

Vers la fin de l’année 1877, le bruit se répandît à Calcutta que le maharajah de Couch-Behar allait épouser la fille de Keshub-Chunder-Sen, bien que ce prince appartînt à une autre subdivision de la caste brahmane. Il y a dans l’histoire de ce mariage nombre d’incidens qui jettent un jour curieux sur la vie domestique de l’Inde. Le Couch-Behar est un état tributaire de l’empire anglo-indien, situé dans le nord du Bengale, au pied de l’Himalaya, avec une superficie de 1,292 milles carrés et une population de 532,565 âmes. Son souverain, encore mineur, avait reçu par les soins du gouvernement anglais une éducation libérale, qui l’avait plus ou moins affranchi des préjugés de caste et de religion. C’est à Calcutta, dans une famille de brahmaïstes, qu’il avait rencontré pour la première fois la fille de Keshub, et on pouvait espérer que cette union, tout en accroissant l’influence sociale du réformateur, achèverait de gagner le jeune prince aux principes du brahmaïsme, si même elle ne devait l’amener un jour à jouer dans ses états le rôle d’un Asoka ou d’un Constantin. Cependant la nouvelle de ce mariage ne fut pas accueillie parmi les brahmaïstes avec l’enthousiasme qui était à supposer. Le rajah ne comptait que quinze ans et la jeune fille treize, c’est-à-dire que ni l’un ni l’autre n’avaient atteint l’âge exigé par le Native Marriage Act, et l’on se rappelle que Keshub avait été un des premiers à réclamer cette disposition, en vue de couper court aux mariages prématurés. À la vérité, la loi n’était applicable ni au territoire de Couch-Behar, ni à la personne de son souverain. Mais était-ce un motif pour ne pas respecter une disposition dont l’introduction dans l’acte de 1872 avait été regardée comme une des conquêtes sociales les plus importantes du brahmaïsme ? Bien plus, si le mariage ne devait pas se célébrer suivant les clauses du Native Marriage Act, il ne restait qu’à employer le rituel hindou, plus ou moins expurgé de ses formules polythéistes, ainsi que cela se pratiquait dans l’Adi Somaj, et il ne fallait pas oublier