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le pied des rites hindous. Rien de plus fondé en équité, rien de plus simple en apparence. Dès 1808, malgré la réserve avec laquelle le législateur anglais se hasarde, surtout chez les sujets d’Asie, à intervenir dans le développement des traditions et des coutumes nationales, sir H. Sumner Maine, qui dirigeait le département de la justice dans le cabinet du vice-roi, avait proposé un bill qui, dépassant même le but des pétitionnaires, introduisait le mariage civil à titre facultatif parmi les indigènes de l’Inde. Mais le projet souleva chez les orthodoxes de tous les cultes reconnus des protestations qu’en Europe nous connaissons de longue date. Parsis et brahmanes oublièrent leurs controverses pour dénoncer à l’unisson le péril qu’allaient courir la religion, la famille et la société, si l’on autorisait leurs coreligionnaires à se passer du prêtre dans l’acte le plus solennel de la vie. En présence de cette agitation, le gouvernement retira le bill, et ce fut seulement après deux années d’intervalle, au commencement de 1871, que le successeur de sir H. Sumner Maine, M. Fitzjames Stephen, déposa un nouveau projet, le Brahmo Marriage Act, rédigé cette fois dans les termes réclamés par les brahmaïstes. En y donnant la consécration légale au rituel de Keshub-Chunder-Sen, le gouvernement sanctionnait du coup certaines réformes d’une haute importance pour l’Inde. Ainsi l’on exigeait la constatation du consentement de la femme, condition inconnue jusque-là dans les mariages hindous. Une autre innovation non moins importante, également adoptée sur l’initiative de Keshub-Chunder-Sen, qui prêchait depuis longtemps contre le fléau des mariages prématurés, établissait un minimum d’âge fixé à dix-huit ans pour les garçons et à quatorze pour les filles. — Enfin le bill introduisait la monogamie dans les codes hindous, en la rendant obligatoire pour tous ceux qui contracteraient mariage sous le bénéfice des présentes dispositions.

Bien que confiné à une secte spéciale, le nouveau bill rencontra la même opposition que le précédent, et, détail caractéristique, parmi ses adversaires les plus acharnés se trouvaient les membres de l’Adi-Somaj. Deux mille soi-disant brahmaïstes pétitionnèrent même au conseil législatif de l’Inde pour qu’il rejetât le projet comme inutile, exorbitant et dangereux. On adopta alors un moyen terme entre le système de M. Stephen et celui de sir H. Sumner Maine. Le conseil législatif effaça du bill le nom des brahmaïstes et le rendit applicable sous le nom de Native Marriage Act, « à toute personne ne professant ni le christianisme, ni le judaïsme, ni le mahométisme, ni le parsisme, ni le bouddhisme, ni la religion des Sikhs ou des Jènes, » énumération négative qui avait pour but de rassurer les sectateurs de ces différens cultes contre l’abandon de leurs autels par des fiancés sceptiques ou impatiens.