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des vainqueurs et le panthéisme élastique des vaincus ne tarda pas à surgir, chez quelques adeptes des deux cultes, l’idée d’un rapprochement, sinon d’une fusion, sur le terrain de leur principe commun, — la notion d’un Dieu unique. Parmi ceux qui s’efforcèrent de mettre cette idée en pratique, on trouve, dès le XVe siècle un disciple du philosophe brahmane Ramananda, le tisserand Kabir, qui attaqua à la fois le Coran et les Védas, pour y substituer une doctrine fondée sur l’unité de Dieu et sur la suppression de l’idolâtrie. Sa prédication lui attira de nombreux adeptes indifféremment recrutés dans les deux religions dont il prétendait enseigner l’essence, et sa légende, consignée dans le chant populaire du Bhakta-mâl, rapporte le détail caractéristique, qu’à sa mort musulmans et Hindous se disputèrent son cadavre, ceux-ci pour le brûler ceux-là pour l’enterrer selon leur rite respectif ; seulement, lorsqu’on souleva le linceul, on n’y trouva plus que des fleurs. La moitié en fut brûlée à Bénarès et déposée dans la chapelle de Kabir-Chaura, qui attire encore aujourd’hui les dévots de l’Hindoustan ; le reste, enterré sur place à Mogar, sous un monument que de nombreux pèlerins visitent chaque année à l’époque de la foire locale. — On a vu plus d’une fois des religions contemporaines damner le même hérétique ; voici peut-être le seul exemple où l’on ait vu deux cultes ennemis canoniser le même saint.

Un disciple de Kabir, Nanak Shah, prétendit également fusionner les deux grandes religions de son pays dans un culte sans autres dogmes que la croyance à l’unité de Dieu et la tolérance envers tous les cultes, — sans autres pratiques que les ablutions et les prières ; telle fut l’origine des Sikhs, qui au début formaient une association purement religieuse. Enfin le célèbre Akbar, tout Grand-Mogol qu’il était, imagina d’organiser sous le nom emphatique de « divin monothéisme, » un culte nouveau, où, en conservant certaines formes de l’islamisme, il introduisait des pratiques empruntées aux Hindous, aux guèbres, aux chrétiens et même aux juifs. — Mais les temps n’étaient pas mûrs pour d’aussi grandioses synthèses. La secte des Kabir-panthis, qui du reste n’a jamais pris grande extension, se concentra dans le culte de Rama, l’incarnation de Vishnou. Les Sikhs, transformés en confédération militaire par les persécutions musulmanes, rouvrirent peu à peu les pertes de leurs temples aux idoles et aux superstitions de l’hindouisme. Enfin le syncrétisme d’Akbar ne franchit guère l’enceinte de son palais, et le seul vestige qui en soit resté se trouve peut-être dans l’architecture éclectique du temple cruciforme élevé à Christna, dans la ville de Bindrabun, par le rajah Man-Sing, — le lieutenant et l’ami d’Akbar, — avec des piliers hindous, que surmontent des arches mauresques et une nef gothique.