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M. Perrero s’appuie sur cette lettre pour soutenir que la Princesse de Clèves n’est pas de Mme de Lafayette. Nous devons dire que sa thèse a trouvé peu de partisans. Cependant, comme il s’agit d’un chef-d’œuvre, la question vaut la peine d’être examinée de près.

Tout d’abord, il convient de remarquer qu’il y a possession acquise, tradition constante, ce qui, en matière d’attribution littéraire, est bien de quelque poids. On a élevé des doutes à propos de Zayde ; on en a fait honneur à Segrais, dont le nom a été associé aux publications de Mme de Lafayette d’une manière qui laissait subsister des doutes sur le degré de sa collaboration. Il n’en a pas été de même pour la Princesse de Clèves, qu’il était trop criant de donner au même auteur que les Divertissemens de la princesse Aurélie. L’entourage de Mme de Lafayette, tous ses amis de Paris, mieux placés que ceux de Savoie pour être bien informés, ne montrent là-dessus aucune hésitation ; la chose ne fait pas question pour eux. C’est Bussy-Rabutin écrivant à Mme de Sévigné, en apprenant d’elle l’apparition du livre : « Cet hiver, un de mes amis m’écrivit que M. de La Rochefoucauld et Mme de Lafayette nous allaient donner quelque chose de fort joli, et je vois bien que c’est la Princesse de Clèves dont il voulait parler. Je mande qu’on me l’envoye, et je vous en dirai mon avis, quand je l’aurai lue, avec autant de désintéressement que si je n’en connaissais pas les pères. » Mme de Sévigné, dans sa réponse et dans les lettres suivantes, passe outre à ces pères comme à une chose au su de tous, et en effet il était public que M. de La Rochefoucauld avait aidé Mme de Lafayette de son goût.

C’est Huet, le savant évêque d’Avranches, qu’on n’accusera certes point de parler à l’étourdie. « Ses nouvelles, dit-il de Segrais, furent bien reçues du public, moins toutefois que Zayde et quelques autres ouvrages de ce genre qui parurent sous son nom et qui étaient en effet de la comtesse de Lafayette, comme lui et la comtesse l’ont déclaré souvent à plusieurs de leurs amis, qui en peuvent rendre un assuré témoignage. Pour Zayde, je le sais d’original, car j’ai souvent vu Mme de Lafayette occupée à ce travail, et elle me le communiqua tout entier, pièce par pièce, avant que de le rendre public… Je rapporte ce détail pour désabuser quelques personnes qui, bien que peu instruites de ce fait, ont voulu le contester. » Il renouvelle la même affirmation, en des termes assez semblables, dans un autre passage des Origines de Caen, et il y revient une troisième fois dans son Commentaire latin sur lui-même. « Des gens mal informés ont pris pour une injure que j’aurais voulu causer à la renommée de Segrais ce que j’ai écrit dans les Origines de Caen ; mais je puis attester le fait sur la foi de mes propres yeux et d’après nombre de lettres de Mme de Lafayette elle-même. »