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trahison de cette princesse ; elle avait été jusqu’à livrer à la France le tableau des finances de son fils.

On n’aurait pas une idée complète de ce que fut Mme de Lafayette au service de Madame Royale, si l’on ne mentionnait les fonctions de maîtresse de la garde-robe qu’elle remplissait régulièrement, parmi tant d’autres, et où elle ne déployait pas moins de talent que dans le maniement des affaires d’état. Robes, gants, parfums, éventails, il n’était rien qui ne fût choisi, commandé, expédié par elle. Dans sa correspondance remplie des matières les plus hautes, elle donnait encore place à des consultations de mode. C’était un agent universel.


VI

Il nous reste à citer la plus curieuse des lettres de Mme de Lafayette à Lescheraine. Nous l’avons réservée, bien qu’elle soit la première en date de la collection Perrero, parce qu’elle touche à une question littéraire beaucoup plus sérieuse, à notre sens, que les tripotages politiques et les intrigues de cour. Cette lettre est du 13 avril 1678 :

« Vous m’offenserez de soupçonner seulement que vos lettres par elles-mêmes et séparées de Mme R. ne me soient pas très agréables. Je vous supplie de ne vous laisser jamais attaquer d’une si méchante pensée et d’être persuadé que votre commerce me fait un extrême plaisir. Un petit livre qui a couru il y a quinze ans et où il plut au public de me donner part, a fait qu’on m’en donne encore à la P. de Clèves. Mais je vous assure que je n’y en ai aucune et que M. de la Rochefoucauld, à qui on l’a voulu donner aussi, y en a aussi peu que moi ; il en fait tant de sermens qu’il est impossible de ne le pas croire, surtout pour une chose qui peut être avouée sans honte. Pour moi, je suis flattée que l’on me soupçonne et je crois que j’avouerais le livre si j’étais assurée que l’auteur ne vînt jamais me le redemander. Je le trouve très agréable, bien écrit sans être extrêmement châtié, plein de choses d’une délicatesse admirable et qu’il faut même relire plus d’une fois, et surtout ce que j’y trouve, c’est une parfaite imitation du monde de la cour et de la manière dont on y vit ; il n’y a rien de romanesque et de grimpé, aussi n’est-ce pas un roman ; c’est proprement des mémoires, et c’était à ce que l’on m’a dit le titre du livre, mais on l’a changé. Voilà, monsieur, mon jugement sur Mme de Clèves : je vous demande aussi le vôtre, car on est partagé sur ce livre-là à se manger ; les uns en condamnent ce que les autres en admirent ; ainsi, quoi que vous disiez, ne craignez point d’être seul de votre parti. »