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changé la couleur d’un régiment de dragons sans consulter sa mère. Madame de Lafayette « s’échauffa » encore sur ce chapitre, après quoi, continua Costa, elle passa « à de nouvelles déclamations sur le voyage que V. A. R. avait fait à la vénerie sans Madame Royale, » et revint aux dragons.

Nous en sommes fâché pour Mme de Lafayette, mais les griefs dont elle se faisait le porte-voix ont un caractère bien mesquin,.. nous allions dire bien féminin. On s’étonnerait de voir un ministre aussi occupé que Louvois trouver du temps et de la patience pour écouter ces commérages sur la couleur d’une veste ou sur une partie de campagne manquée, si l’on ne savait qu’il se servait de Madame Royale à des fins assez importantes pour mériter beaucoup de complaisance de sa part. Le duc craignit peut-être que les empressemens de Costa ne rehaussassent l’importance de Mme de Lafayette à ses propres yeux, car il enjoignit à son ambassadeur d’observer une plus grande réserve : « Nous avons vu le long entretien que vous avez eu avec Mme de Lafayette, la répétition qu’elle vous a faite des mêmes plaintes mal fondées, dont elle rebat les oreilles de ceux qui se donnent la peine de les entendre. Il est bien que mous en soyons informé, mais vous n’affecterez point d’empressement de savoir d’elle ce qu’elle a sans doute beaucoup d’envie de vous dire. »

Le résultat le plus clair des visites du comte avait été d’éveiller encore davantage la défiance de Victor-Amédée. Avant la fin de l’année, il dépêcha à Paris un nouvel envoyé extraordinaire, le marquis de La Pierre, chargé d’annoncer la naissance de la princesse Adélaïde, la future duchesse de Bourgogne. Le marquis devait mettre à profit son séjour pour miner l’influence de Mme de Lafayette et détruire les mauvaises impressions qu’elle avait jetées dans les esprits sur le caractère et la conduite du duc de Savoie. A peine arrivé à Paris, il avertit son gouvernement qu’il en apprend de belles[1] ! Mme de Lafayette a débauché l’ambassadeur de Savoie, qui travaille à présent contre son maître. Elle tient les fils d’une vaste intrigue dans laquelle sont entrés plusieurs personnages de Piémont. D’autres personnages piémontais lui servent d’agens à Paris et passent des journées entières chez elle. Le marquis de La Pierre a essayé de sonder Louvois, et il est resté confondu de le trouver au courant des moindres particularités de l’intérieur de Victor-Amédée. Il a entendu de sa bouche que, peu de jours auparavant, le duc avait renvoyé Madame Royale de sa chambre à coucher en alléguant que la jeune duchesse Anne avait envie de dormir ; mais ce n’était qu’un prétexte pour faire partir sa mère ; la

  1. Dépêche du 17 décembre 1685.