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et le Piémont saurait ce qu’il en coûte de blesser un Louis XIV ! Le comte Costa s’inquiéta de menaces aussi peu déguisées. Il se rendit d’urgence à Versailles pour démêler jusqu’à quel point Mme de Lafayette était réellement en posture de parler un semblable langage au représentant d’une puissance étrangère. Il ne demeura pas longtemps dans l’incertitude ; aux premières paroles échangées avec Louvois, il reconnut que le ministre avait son opinion faite et n’en changerait pas : « J’ai bien compris qu’il est prévenu différemment et qu’il croit ce que m’a dit Mme de Lafayette. »

Victor-Amédée fut outré de dépit en recevant cette dépêche. Il ne faut pas oublier que, sous les mesquines questions d’étiquette et d’argent qui servaient de prétextes aux querelles du duc avec sa mère, les intérêts politiques les plus graves s’agitaient. Madame Royale était restée, après avoir perdu le pouvoir, le chef du parti français à Turin. Les bons offices que lui rendait Louvois étaient à charge de revanche. Elle les payait en employant les restes de son crédit à prévenir une rupture entre la France et le Piémont. Elle poussait même le zèle jusqu’à adresser à Louvois une espèce de journal où elle lui rendait compte de ses démarches et de ce qu’elle avait pu apprendre sur les résolutions du gouvernement de Turin. Madame Royale ne semble pas avoir eu conscience qu’elle accomplissait un acte de trahison en livrant les secrets de sa patrie d’adoption aux étrangers. On conçoit la déférence de Louvois pour Mme de Lafayette, par laquelle passaient les précieux paquets de la duchesse ; on conçoit aussi l’exaspération de Victor-Amédée et ses efforts pour acquérir la preuve des relations de sa mère avec Louvois. Sa réponse à la lettre du comte Costa laisse percer la colère. « Nous avons vu, écrivait le duc, les détails des deux entretiens que vous avez eus avec Mme de Lafayette, qui a très bien retenu tout ce qui a été mandé d’ici ; ce sont les mêmes répliques et les mêmes raisonnemens qu’on y a faits. La manière conforme dont vous a parlé ensuite M. le marquis de Louvois fait assez connaître quelle est la source des mêmes sentimens qu’elle prend soin de lui insinuer. »

Cependant Costa persévérait dans ses assiduités intéressées. « Voyant, dit-il dans une dépêche du 2 juillet 1685, que la confiance de Mme de Lafayette m’est utile pour découvrir les plaintes que Madame Royale porte en cette cour, à quoi V. A. R. me commande de veiller, je continue à lui rendre quelque visite. Dans celle que je lui ai faite la semaine passée, me voyant porter les raisons de V. A. R. avec assez de chaleur, elle me dit qu’elle avait menti lorsqu’elle avait écrit à Madame Royale que j’entendais raison, puisque je ne voulais pas convenir du tort que V. A. R. avait. » Le tort du duc auquel il est fait allusion dans ce passage consistait à avoir