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fissent, quand ils arrivaient quelque part, elle avait déjà parlé, et ils trouvaient des esprits prévenus, des gens qui savaient justement la chose qu’on désiait leur cacher. Le duc ne pouvait plus se fier à ses propres ambassadeurs ; elle les travaillait et les mettait dans les intérêts de madame Royale. L’un d’eux, resté fidèle, écrivait à Victor-Amédée : « Mme de Lafayette est un petit furet, qui va guettant et parlant à toute la France pour soutenir Madame Royale en tout ce qu’elle a fait. » Le mot était joli, et il était juste.

Victor-Amédée voyait bien qu’elle était la tête des meneurs et que les remontrances impérieuses qui lui arrivaient de Versailles avaient été machinées dans l’hôtel de la rue de Vaugirard. Il lui était insupportable d’être continuellement chapitré par Louis XIV jusque sur ses affaires domestiques. Dans son impatience, il fit plusieurs fois à la comtesse l’honneur d’envoyer à Paris des diplomates dont la mission spéciale était de la pénétrer et de la combattre. Ces messieurs avaient toutes facilités pour la fréquenter sans éveiller sa défiance, car l’habitude avait été prise sous la régence que tout ce qui venait en France d’important et de considéré tenant par quelque bout à la cour de Savoie fût assidu chez la confidente de Madame Royale. Dans les premiers mois de l’année 1685, le comte Costa della Trinita, se rendant en Angleterre pour complimenter Jacques II sur son avènement, eut ordre de s’arrêter à Paris à l’aller et au retour et de s’y occuper particulièrement de Mme de Lafayette. Il rendit compte sur-le-champ au duc de sa première visite.


« Paris, 28 mai 1685.

« J’ai été voir Mme de Lafayette, qui autrefois était de mes amies[1] et qui assurément est celle qui conduit toutes ces menées, au cas qu’il y en ait, mais je l’ai trouvée si réservée que je n’ai pu rien découvrir, et je n’ai pas jugé à propos d’être moins réservé qu’elle. »

Il y avait à ce moment deux disputes pendantes entre la mère et le fils, l’une à propos de gardes que l’on ôtait à Madame Royale, l’autre au sujet d’un voyage auquel elle n’avait pas été priée. Il importait de savoir ce que Mme de Lafayette pensait là-dessus, parce qu’on avait du même coup l’opinion de Louis XIV et celle de Louvois. Victor-Amédée répondit à son envoyé : « Nous ne sommes point surpris de la réserve qu’a eue Mme de Lafayette dans la visite que vous lui avez rendue ; vous avez bien fait d’en user de même, et peut-être que dans la suite elle s’ouvrira avec vous ; vous lui en

  1. Le comte Costa était venu en mission à Paris du temps de la régence et il avait alors eu grand soin, comme tous les autres, de faire sa cour à Mme de Lafayette.