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part aux affaires, et l’on vous regarde comme un homme qui pourra y en avoir encore davantage à l’avenir ; il est de votre intérêt comme de la gloire de Madame Royale de contribuer que ce qui doit paraître ici ne se fasse qu’après avoir été pesé et considéré longtemps et plusieurs fois… Vous pouvez croire que je suis bien éloignée de me croire une tête à donner des conseils, et sur les choses qui ne viennent point ici je ne me mêle pas même d’en parler ; mais j’avoue que sur celles qui s’y passent j’ai de la peine à m’empêcher d’en parler parce que l’on a sans cesse la tête échauffée par le discours de ceux qui, sachant comme je suis pour Madame Royale, s’adressent à moi dès qu’il y a quelque chose de nouveau : par la bonne maxime que vous avez de ne rien écrire, on n’a aussi rien à leur répondre. »

Vers la fin de cette même lettre, Mme de Lafayette recommande à Lescheraine de ne pas la laisser oublier au moment où l’on ouvrira une caisse de présens envoyée de Portugal à la régente. « J’y prends un grand intérêt, lui dit-elle, sur l’espérance que vous volerez pour mon service. » Elle n’eut rien de cette caisse. Lescheraine fut encore négligent et encore grondé. « J’ai bien sur le cœur contre vous, lui écrit-elle peu après, de ne rien m’avoir su dérober quand les présens vinrent de Portugal : si vous faites la même chose au retour de M. de Droné, je rabattrai les deux tiers de la bonne opinion que j’ai de vous. J’ai déjà mandé à Madame Royale que nous aimions ici tout ce qui vient des Indes jusques au papier qui fait les enveloppes. » Il ne s’agissait que de bagatelles. Mme de Lafayette servait Madame Royale par amitié et ne recevait d’elle que quelques menus présent de loin en loin ; du damas de soie pour sa chambre, des copies de tableaux dont les mémoires sont dans les archives de Turin. Son désintéressement est hors de cause, mais l’on s’étonne de lui voir un intérêt aussi vif pour des bagatelles et une présence d’esprit toujours éveillée sur les moindres détails, l’année et presque au lendemain de la mort de M. de La Rochefoucauld[1] ; le cœur brisé, la tête est restée nette et vive. Une autre lettre à Lescheraine, encore à propos de l’abbé Verrue, achève de la poser dans son rôle de chef qui tient les fils et ne saurait tolérer que ses inférieurs lui en content.


« Ce 23e septembre 1680.

« Je vous ai grondé par une de mes lettres, par d’autres je vous ai dit que vous aviez la langue bien longue, je m’en vais vous dire encore pis : vous me meniez, vous me contez des contes borgnes,

  1. M. de La Rochefoucauld était mort dans la nuit du 16 au 17 mai 1680.