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septembre 1680, la comtesse écrivait à l’un de ses pourvoyeurs de nouvelles, Lescheraine, secrétaire de Madame Royale :

« Je vous grondai de la main d’un autre le dernier ordinaire, il faut celui-ci que je vous gronde de la mienne. Vous m’avez trop témoigné vouloir être de mes amis pour laisser passer les choses sans vous en rien dire comme on fait aux gens dont on ne se soucie point. N’ai-je pas sujet de me plaindre que m’écrivant avec le soin que vous m’écrivez, j’apprenne d’un autre que de vous les nouvelles publiques ? Vous savez bien que je vous fis déjà des reproches à l’affaire de la maison de Saint-Maurice[1], et je vous les fis non-seulement par rapport à moi, mais par rapport à Madame Royale ; il est de son service que l’on sache ici ce qui doit être public afin de donner des couleurs et des raisons ; et au lieu d’avertir des choses et d’en instruire par avance, il semble que, pourvu que vous n’en écriviez point, vous croyez que personne n’en écrira, et que, pourvu que vous ne raisonniez point sur les causes, personne ne raisonnera. Tout est su ici des qu’il est pensé à Turin ; pouvez-vous croire qu’un ambassadeur et tant de gens qui ont des relations en France n’écrivent pas ce qui se passe ? Je vous étonnerais si je vous disais jusqu’où l’on sait des choses qui se projettent présentement dans votre cour, et de la fin à quoi aboutissent les projets. Quand tout sera déclaré et que la Gazette nous l’aura appris, après vous l’écrirez ; il sera temps, l’on vous en sera bien obligé et l’on pourra bien aussi vous avertir des effets que cela pourra faire dans le monde. »

Le sujet de cette grosse colère est le silence gardé par Lescheraine sur le rappel de l’abbé Verrue, ambassadeur de Savoie à Paris, qui avait mécontenté la régente par sa mollesse dans l’affaire de l’ambassadeur d’Espagne. On sait que Louis XIV demandait à Madame Royale la promesse de ne plus recevoir à Turin aucun envoyé de Madrid et que ce fut une des exigences qui irritèrent le plus les Piémontais contre la France. Mme de Lafayette trouvait mauvais qu’on ne l’eût pas consultée avant de rappeler l’abbé Verrue, et elle n’avait pas tort, étant donnée sa situation quasi-officielle ; un plénipotentiaire à qui son gouvernement ne dit pas tout est dans une situation fausse. Elle n’ignorait pas que ses lettres à Lescheraine étaient mises sous les yeux de Madame Royale ; ceci explique certaines phrases qui visent plus haut qu’un secrétaire.

« Le bruit de l’affaire de M. l’ambassadeur, continue-t-elle, est très grand, et une chose comme celle-là qui se passe dans notre cour valait bien la peine d’être consultée. Vous avez beaucoup de

  1. Le comte de Saint-Maurice fut un des favoris de Madame Royale.