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rend tout à fait vraisemblable qu’elle passât, comme le dit Gourville, deux heures de la matinée « à entretenir commerce avec tous ceux qui pouvaient lui être bons à quelque chose et à faire des reproches à ceux qui ne la voyaient pas aussi souvent qu’elle le désirait, pour les tenir tous sous sa main, pour voir à quel usage elle les pouvait mettre chaque jour. » Un bon ambassadeur, et elle le fut, doit prendre de ces soins et tenir son personnel en haleine.

L’habitude d’être mêlée à ceci et à cela perce déjà, à y regarder de près, dans sa correspondance avec Mme de Sévigné. Elle s’excuse toujours de son silence sur ses grandes occupations, comme sur une chose connue et qui ne souffre point contradiction. « Qu’y a-t-il de si terrible à ces paroles : Mes journées sont remplies ? Il est vrai que Bayard est ici, et qu’il fait mes affaires ; mais quand il a couru tout le jour pour mon service, écrirai-je ? Encore faut-il que je lui parle. Quand j’ai couru, moi, et que je reviens, je trouve M. de La Rochefoucauld, que je n’ai point vu de tout le jour : écrirai-je ? » Deux mois plus tard, durant les hostilités sourdes avec Gourville, elle dit : « Je suis à Saint-Maur ; j’ai quitté toutes mes affaires. » À ce ton d’homme occupé se joignent des vivacités de femme accoutumée à diriger. Charles de Sévigné fait campagne ; il a besoin d’argent pour son équipage, et on ne lui en donne point. Il s’adresse à Mme de Lafayette, qui sur-le-champ répare l’injustice : « La grande amitié que vous avez pour Mme de Grignan fait qu’il en faut témoigner à son frère, etc. » Un autre jour elle intervient, « du ton d’un arrêt du conseil d’en haut, » pour empêcher Mme de Sévigné de passer l’hiver aux Rochers, de peur que par l’ennui son esprit ne devienne triste et ne baisse. Elle a tout ordonné : « Point de raisonnemens là-dessus, point de paroles, ni de lettres perdues ; il faut venir ; tout ce que vous m’écrivez, je ne le lirai seulement pas ; et en un mot, ma belle, il faut ou venir ou renoncer à mon amitié. » Mme de Sévigné trouva le procédé très aimable et un peu autoritaire ; elle répondit sur le ton de la reconnaissance et n’obéit point. « Mon Dieu ! s’écriait-elle, la belle proposition, de n’être plus chez moi, d’être dépendante, de n’avoir point d’équipage et de devoir mille écus ! » Assurément il n’y a là, dans les deux cas, que le zèle d’une amitié empressée à rendre de bons offices ; aussi n’avons-nous point relevé ces traits avec la pensée qu’ils pussent être le moins du monde imputés à blâme à Mme de Lafayette, dont l’influence s’exerça toujours dans de bonnes intentions et presque toujours, avec sa « divine raison, » dans un bon sens. Tout ce qui précède n’a pour but que de dessiner insensiblement le caractère et de ménager la transition entre la pauvre infirme, sédentaire et paresseuse, de la légende, et le brillant agent