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de s’abîmer, comme il lui était recommandé, dans une salutaire confusion et de ne plus pouvoir soutenir la vue des années triomphantes où elle aimait et était aimée. La lutte entre Du Guet et le souvenir de M. de La Rochefoucauld jeta sur ses dernières années un air de souffrance et de déchirement continu qui, joint à sa misérable santé, en fait un objet digne de compassion. Qui l’emporta à la fin ? Sans rien affirmer et en exprimant sa pensée sous une forme interrogative, Sainte-Beuve voit des raisons de supposer que ce fut Du Guet dans un billet que Mme de Lafayette écrivait un an avant de mourir à Mme de Sévigné. « Je n’ai repos, lui disait-elle, ni nuit ni jour, ni dans le corps ni dans l’esprit ; je ne suis plus une personne, ni par l’un ni par l’autre ; je péris à vue d’œil ; il faut finir quand il plaît à Dieu, et j’y suis soumise… Croyez, ma très chère, que vous êtes la personne du monde que j’ai le plus véritablement aimée. » L’autre affection qu’elle ne nommait plus, demande Sainte-Beuve, qu’elle ne comptait plus, était-elle donc enfin ensevelie, consumée en sacrifice ? — Nous croyons que dans ce cas la pénitente aurait eu, à défaut du repos du corps, le repos de l’esprit. Mme de Lafayette repentie cessa d’excuser sa faiblesse, elle ne s’éleva jamais jusqu’à cesser d’aimer ce qui en avait été la cause. La victoire sur son cœur l’aurait rendue plus digne d’admiration ; abattue et impuissante, elle est plus touchante.

Le trait de son caractère sur lequel on a le plus appuyé, après le besoin de tranquillité, c’est la franchise. Les termes en usage paraissaient insuffisans pour peindre la sincérité de Mme de Lafayette. M. de La Rochefoucauld inventa pour elle une expression qui est restée. Il dit qu’elle était vraie. Du Guet lui rend le témoignage, sur sa réputation, d’être parmi les personnes « les plus déclarées contre le déguisement. » Mme de Maintenon, alors Mme Scarron, racontant à une amie sa présentation à Mme de Montespan, écrit : « Mme de Lafayette aurait été contente du vrai de mes expressions. » Mme de Sévigné déclarait de son côté qu’il fallait « la croire à sa parole. » Cette perfection de véracité est encore aujourd’hui un de ses grands attraits.

Si nous résumons la tradition, nous trouvons donc une créature maladive et nerveuse, presque toujours couchée, n’ayant d’autre occupation, au fond de sa chambre fermée, que de ralentir et d’affaiblir ses sensations afin de vivre le moins possible dans l’espace d’une journée ; appliquée à se réduire dans tous les sens, du côté des pensées, des sentimens et du mouvement ; droite et franche, raisonnable et bonne, estimable en dépit de tout et parfaitement estimée, un peu trop alanguie seulement au gré de ses amis, qui l’auraient voulue plus allante et plus écrivante. Le portrait que