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a donné un crédit considérable qu’elle a conservé après la mort de la princesse et dont elle use de la manière convenable à une recluse, en glissant ça et là de sages conseils auxquels son nom assure de l’autorité. Elle s’est mise à l’écart des intrigues dès le temps où Madame vivait ; elle a toujours été spectatrice plutôt qu’agissante, même lorsqu’elle tenait le rang de favorite dans la cour galante et tracassière de Saint-Cloud. Sa répugnance à quitter son repos était si forte, qu’on lui reprochait de négliger ses amis pour mieux garder ses aises. De même qu’elle passait pour ne point bouger et pour fuir ce qui occupe l’esprit, elle passait pour ne pas écrire de lettres. Mme de Sévigné l’attaque sans cesse sur ce défaut, le seul qu’elle lui reconnaisse, et Mme de Lafayette lui répond tout net : « Le goût d’écrire… m’est passé pour tout le monde ; si j’avais un amant qui voulût de mes lettres tous les matins, je romprais avec lui. »

À cette passion de retraite et de silence, caressée en rêve et démentie par la conduite, à cette indifférence tout imaginaire pour les affaires de cour vient s’ajouter, après les chagrins, une mélancolie très véritable, qui rend Mme de Lafayette vieillie tout à fait touchante. Les instructions de Du Guet avaient suscité un combat dans cette âme alarmée, à la hauteur de tout ce qu’on a pu imaginer pour la tendresse et la fine sensibilité. Ce n’était pas sans motif que l’habile directeur, rompu aux ruses des cœurs en détresse, faisait une allusion transparente à la liaison avec M. de La Rochefoucauld à propos des pénitens qui ne se sont point encore sincèrement convertis, parce que, disait-il, « on est encore assez injuste pour excuser sa faiblesse et pour aimer ce qui en a été la cause. » Il savait fort bien que, sur le chapitre des affections non légitimes, l’idéal chrétien se trouvait en face d’un certain idéal chevaleresque que Mme de Lafayette avait admirablement décrit dans ses romans parce qu’elle en trouvait le modèle en elle-même. L’idéal chrétien exigeait tout d’abord le sacrifice de la passion coupable ; il était inadmissible, au point de vue spirituel, que l’amour pour celui qui avait causé la chute subsistât à côté de l’horreur pour la faute ; M. de La Rochefoucauld était à l’entrée, tout en travers de la voie du salut ; il fallait le chasser de là avant d’oser ouvrir la bouche devant le juge souverain et lui crier miséricorde. Le monde sentait différemment. Il mettait à si haut prix la fidélité inviolable dans les affections, fussent-elles condamnables, qu’il en faisait la rançon de la femme coupable ; un peu de persévérance la rachetait, beaucoup de persévérance la glorifiait. Mme de Lafayette n’obéissait pas sans effort à la voix sévère qui lui ordonnait de rapporter tout, sans nulle réserve, à Dieu et au salut. Elle résistait avant