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de simples billets. Mais le peu qu’on nous donne, joint aux pièces officielles reproduites par M. Perrero, suppose tant d’autres paquets détruits ou non encore retrouvés, des correspondances si variées, si étendues, si suivies, si importantes, que force est de convenir qu’on s’était laissé prendre trop facilement aux plaintes de quelques amis plus exigeans ou moins bien traités que les autres. Mme de Lafayette n’était ménagère de son temps et de sa peine que dans les commerces de simple agrément ; comme la plupart des personnes qui ont de grandes affaires, elle se réservait pour ces affaires : le reste venait après, s’il restait du loisir et que la tête ne fût pas trop lasse.

La nature des occupations qui l’absorbaient à ce point était d’un genre qui ne s’accorde pas très bien avec l’idée que nous nous faisions d’elle. Elle n’est plus tout à fait la même aujourd’hui qu’avant la publication de M. Perrero. Des traits nouveaux sont mis en lumière ; des témoignages anciens, mais qui avaient semblé suspects ou obscurs, sont confirmés ou expliqués. Il y a donc lieu de reprendre son portrait afin de l’amener à une ressemblance plus exacte en le corrigeant sur quelques points. Nous commencerons, avant d’y toucher, par en rappeler le dessin général[1].


I

La Mme de Lafayette avec laquelle nous sommes familiers est peinte en deux lignes par Du Guet, l’ami de Port-Royal, dans une lettre de direction qu’il lui écrivit quand elle l’eut prié, après la mort de M. de La Rochefoucauld, de prendre la conduite de son âme et de la tourner vers Dieu. « J’ai cru, madame, lui disait-il, que vous deviez employer utilement les premiers momens de la journée, où vous ne cessez de dormir que pour commencer à rêver. Je sais que ce ne sont point alors des pensées suivies, et que souvent vous n’êtes appliquée qu’à n’en point avoir. » Du Guet, qui se distinguait du pur Port-Royal, de M. Singlin et de M. de Saint-Cyran, par une nuance de bel esprit, a de ces tours ingénieux et pénétrans pour figurer les états de ses malades spirituels. En recevant dans sa retraite l’appel de Mme de Lafayette, il avait jugé sa pénitente sur ses intentions et sur des dehors qu’elle affectait de très bonne foi, avec la résolution d’être réellement ce qu’elle

  1. M. Perrero a joint à son volume les fac-simile de deux des lettres de Mme de Lafayette qu’il publiait. Pour prévenir tout soupçon de confusion, nous avons comparé ces fac-simile à celui qui est conservé à la Bibliothèque nationale, où il fait partie de la collection Monmerqué. L’examen des écritures ne parait laisser subsister aucun doute sur l’authenticité des lettres découvertes dans les archives de Turin.