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la conquête de l’Algérie, qu’elle est une des idées les plus fécondes de notre siècle. En voyant notre gouvernement hésiter à la compléter par la prise de possession du Tonkin, nous sommes à regret obligés de rappeler que c’est grâce à l’heureuse insistance d’un ministre de l’empire, M. le marquis de Chasseloup-Laubat, — qui n’était pas un marin pourtant, — que nous la devons.

On ne réfléchit guère à tout cela quand on va répétant de tous les côtés que le peuple français est le moins apte à la colonisation. Ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que ceux qui le disent avec une conviction que nous croyons très sincère n’ont jamais mis les pieds hors de chez eux ou n’ont jamais étudié à fond une si grave question. Les voyageurs, — heureusement fort rares, — qui, par haine des colonies, céderaient volontiers celles que nous avons encore, n’ont jamais pu nous donner une raison bien sérieuse de leur aversion, est-ce parce que les colonies n’envoient que des républicains à la métropole. C’est peut-être cela, mais nous ne pouvons l’affirmer.

A propos de cette question du Tonkin, qui dans quelques jours se posera devant les chambres, nous voudrions qu’une voix autorisée s’élevât contre le préjugé de notre prétendue incapacité de colonisation. Il nous semble facile de prouver que, si nos compatriotes ont été moins habiles que d’autres à se créer une situation hors de France, c’est parce qu’ils n’ont jamais trouvé dans une colonie française l’espace et surtout la liberté si chère aux émigrans. (Les États-Unis d’Amérique, où l’on est sûr de rencontrer avec des étendues illimitées à défricher une liberté également sans limites, verront toujours se diriger vers leur Far-West ceux qu’une raison quelconque obligera à émigrer. Ce n’est pas tout : il a toujours manqué hors de France à nos compatriotes, comme le disait M. Léon Beugnot, cet accueil, cet appui aimable que nos gouverneurs et beaucoup-de nos consuls ont réservé, — en Chine principalement, — aux missionnaires, mais qu’ils ont constamment refusé aux pauvres colons, aux trafiquans, a ces enfans perdus, coureurs d’aventures, que l’Angleterre considère pourtant comme ses meilleurs pionniers à l’étranger.


VII

Il ne nous reste qu’à chercher dans Quelles conditions la conquête du Tonkin peut se faire, et s’il nous faut, pour vaincre les armées de Tu-Duc, un grand déploiement de forces, en supposant toutefois que Tu-Duc montre des velléités de résistance. En avançant qu’il suffit pour cela de deux ou trois régimens d’infanterie et d’une douzaine de canonnières pouvant remonter jusqu’à