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elle s’est présentée au roi Tu-Duc. Ce souverain, reconnaissant des hommages que lui rendaient au nom d’un roi d’Espagne les descendans de Fernand Cortez, a bien voulu signer un traité contenant une clause d’une grande importance : elle permet aux Espagnols de recruter des Annamites pour leur colonie de Cuba, où les Chinois commencent à ne plus vouloir aller. A cela nous n’avons rien à dire, et nous félicitons qui de droit du résultat obtenu ; mais nous n’en avons pas moins été surpris de voir une nation amie envoyer une pompeuse ambassade à un roi comme Tu-Duc, ennemi de la France, et cela à la veille du jour où nous allons lui enlever une province, celle précisément que nous aidâmes Gia-Long, le prédécesseur de Tu-Duc, à conquérir à la fin du siècle dernier.

Le plus grand argument que l’on oppose à la prise du Tonkin par la France est celui-ci : Nous n’avons pas besoin de colonies nouvelles, puisque nous ne savons pas coloniser celles que nous avons. A part l’Algérie et la Cochinchine, qu’avons-nous donc encore ? Hélas ! peu de chose, et l’on peut dire que la France coloniale a péri sous Louis XV d’abord et sous Napoléon Ier ensuite. Nous possédons, il est vrai, la Martinique, la Guadeloupe, l’île de la Réunion, la Guyane française, le Sénégal, la Nouvelle-Calédonie et quelques îlots sans importance, soit environ huit cent mille Français. Ces colonies versent annuellement au trésor de la métropole 50 millions, et elles ne nous en coûtent que 18. Elles font un commerce qui s’élève à 240 millions de francs, dont les trois quarts se font avec la mère-patrie. Les fonctionnaires qui y sont envoyés sont payés sur le budget. Certes, ce n’est pas brillant, mais faut-il pour cela abandonner ces patriotiques possessions ? Poser la question à des Français, c’est la résoudre. Restent nos deux grandes colonies : l’Algérie et la Cochinchine.

Cette année même, il y a eu précisément un demi-siècle que notre flotte et notre armée, chargées d’infliger au dey d’Alger le châtiment que nous voudrions voir infliger à Tu-Duc, se présentaient devant la plage de Sidi-Ferruch. Notre conquête africaine constitue en définitive l’événement le plus heureux, le plus fécond, le plus plein d’avenir que l’on puisse inscrire à l’actif de la politique française depuis le commencement du XIXe siècle. Méconnue dans le principe par des esprits prévenus, l’importance de notre colonie algérienne n’est plus guère contestée aujourd’hui. Pour un total de 2 milliards au maximum qu’elle a coûté à nos budgets depuis 1830, elle a déterminé, au profit de nos ports du Midi, un mouvement commercial qui, chaque année, se chiffre par près de 400 millions de francs, tout en ajoutant au territoire national l’étendue de vingt-cinq départemens en terres de culture. Nos