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chemin que la bâche à la main. Sur les berges règne un fouillis de broussailles, d’arbustes, dont les branches plongent dans l’eau et rendent l’accès des rives diffïcile. On retrouve là dans toute sa splendeur la végétation des pays tropicaux. On y voit le bananier, ainsi que le palmier sauvage, qu’enlacent les lianes flexibles dont les Annamites font des cordages et des cordes de halage. La variété des essences est très grande, depuis une quantité de bois rougeâtre qui a son emploi dans l’ébénisterie et dont les Tonkinois font leurs jolies tabletteries, jusqu’au bois jaune ressemblant au buis dont il a la finesse. Le chêne blanc y croît aussi en grandes quantités. « J’ai vu, dit M. Dupuis, des bordages de barque faits d’une seule pièce ayant de 20 à 25 mètres de long. »

Lao-kaï est une petite localité indépendante à la fois de l’empire chinois et du royaume d’Annam. Elle est tombée définitivement au pouvoir de ces trop célèbres Pavillons-Noirs qui assassinèrent, à la fin de l’année 1873, M. Francis Garnier. Ils ont aujourd’hui pour ennemis les Pavillons-Jaunes, leurs anciens alliés, qui, dispersés un peu partout, s’étaient autrefois installés en aval du fleuve, à Tuen-hia. Voici l’histoire de ces Pavillons-Noirs et Jaunes et les curieuses circonstances qui forcèrent les Chinois que l’on désigne ainsi à s’installer au Tonkin.

Vers 1865, les mandarins de la province chinoise de Kouansi, aidés par les troupes impériales de la province de Kouang-tong, se rendirent maîtres de l’insurrection qui, depuis 1849, désolait le Yunnan. C’est du Yunnan que partirent les fameux Taï-pin qui s’établirent à Nankin, où ils restèrent jusqu’à la prise d’assaut et à la ruine de cette malheureuse ville par l’armée impériale. L’un des principaux chefs rebelles put échapper aux mandarins victorieux, et pénétra avec trois ou quatre mille hommes jusqu’au Tonkin. Sans s’inquiéter du roi Tu-Duc et de l’armée de cinquante mille hommes que ce roi prétend pouvoir mettre sur pied, Ouâ-tsong, — c’est le nom du chef des rebelles, — parcourut toute la partie nord-est du royaume jusqu’au Fleuve-Rouge, poussant l’impudence jusqu’à venir camper pendant plus d’une année sur la rive gauche de ce fleuve, en face d’Hannoï, la capitale.

Les Annamites, en leur qualité de tributaires de la Chine, demandèrent aussitôt à la cour de Pékin des troupes qui les aidassent à chasser ces hôtes par trop sans gêne, se reconnaissant ainsi trop faibles et trop pusillanimes pour les expulser eux-mêmes. La Chine, qui ne pouvait pardonner aux Taï-pin leur rébellion, ne fit pas la sourde oreille et envoya dix mille Braves qui, commandés par le général chinois Tch’en, vinrent s’établir à Bac-ninh et à Thaï-nguyen, deux places fortes du Tonkin. Sur ces entrefaites,