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Yunnan une route autrement préférable à toutes celles que cherchaient les Anglais[1].

Dès son arrivée devant la capitale du Tonkin, M. Francis Garnier put constater le mauvais vouloir du gouvernement annamite à l’égard de M. Dupuis. Poussé à bout, voyant qu’il n’obtiendrait rien par le raisonnement, l’héroïque officier donna au monde le spectacle d’un pays de cinq à six millions d’habitans conquis en quelques jours par une poignée de braves. Le 10 novembre 1873, il attaquait la citadelle de Hannoï, que défendaient sept ou huit mille hommes. En une heure, la place était rendue. Le 2 décembre, un aspirant, M. Hautefeuille, avec le feu d’une seule pièce de quatre, un quartier-maître et six marins, se faisait livrer une autre citadelle, celle de Ninh-Binh. Le soir du jour où se passa cet étonnant fait d’armes, cinquante indigènes venaient se placer sous les ordres du jeune aspirant ; huit jours après, cinq mille Tonkinois les imitaient. De son côté, le sous-lieutenant d’infanterie, M. de Trentinian, enlevait Haï-Dzung pendant que M. le docteur Harmand, qui n’avait pas un seul blessé à soigner, quoique en plein pays de conquête, occupait le delta du Tonkin avec quelques soldats. En trois semaines, la contrée fut soumise, et le Fleuve-Rouge eût été dès ce moment accessible pour tous si, à la suite de la mort tragique de M. Francis Garnier, l’abandon du territoire envahi n’eût été aussi prompt que l’avait été l’occupation.

Par quelle raison l’honorable amiral changea-t-il si brusquement d’avis ? Nul ne peut le dire, mais nous croyons, nous, qu’en apprenant la mort de son vaillant lieutenant, M. l’amiral Dupré se souvint, — un peu trop tard, — de la situation précaire où se trouvait alors la France. La cour de Hué eut un soupçon de ce revirement : pour empêcher que notre installation ne devînt définitive, elle fit briller aux. yeux du gouverneur de la Cochinchine les clauses d’un traité qui devait donner satisfaction à la France. En échange de ce fameux traité, le roi de l’Annam exigeait l’évacuation immédiate du Tonkin par le corps expéditionnaire que Garnier y avait conduit, et l’internement dans les ports du littoral de la flottille de M. Dupuis. Ce n’est pas tout : nous livrions au roi Tu-Duc cinq bâtimens à vapeur de la force de 500 chevaux, cent canons, mille fusils à tabatière, et nous lui faisions abandon d’une indemnité de plus de ô millions de francs. Mais, dans tout cela, quelle était notre part ? Bien peu de chose : la cour de Hué daignait reconnaître, — comme si nous en avions eu besoin, — la pleine souveraineté de la France sur ses conquêtes en Cochinchine, et elle s’engageait à ouvrir au

  1. Voyez, dans la Revue du 28 février 1878, les Nouveaux Ports ouverts de la Chine.