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chevaleresque et rien de périlleux. S’il nous faut agir, c’est que notre prestige, notre politique, et disons mieux, nos intérêts futurs sont actuellement en jeu en Asie. La sécurité de notre possession en Cochinchine, les besoins du commerce, auquel l’ouverture du Tonkin offrirait d’admirables débouchés, exigent une prompte intervention de la France.

Ce projet d’une nouvelle annexion intéresse d’ailleurs aussi bien notre marine marchande que notre marine militaire. Sans possessions lointaines, — cela ne se voit que trop bien chez nous, — la première se meurt, la seconde reste sans utilité usant sur place et sans profit ses meilleurs officiers et les gros millions qu’elle coûte. Quelle animation magnifique, quelle activité prospère les colonies ne donnent-elles pas aux arsenaux militaires et commerciaux de l’Angleterre ! quelle richesse immense n’en découle-t-il pas pour les industries de ce pays, sans compter le légitime orgueil qu’il éprouve à voir son pavillon déployé sur toutes les mers ? Pourquoi la Prusse cherche-t-elle en ce moment une terre éloignée où elle puisse envoyer sa flotte naissante ? C’est parce qu’en dix ans elle a décuplé sa marine. C’est une force nouvelle qu’elle a acquise, qu’elle veut exercer, et nous aurions tort, là où l’Allemagne grandit, de nous amoindrir. On a dit avec raison que, dans cinquante ans, il n’y aura plus dans l’Indo-Chine un seul état indépendant ; à la façon dont agissent les Anglais et les Russes, peut-être faudra-t-il moins de temps, et alors, si de notre côté nous n’avons pas augmenté notre puissance coloniale quand nous le pouvions, il arrivera fatalement un jour où la France ne comptera plus au nombre des puissances maritimes.

Mais ce n’est pas tout ; il y a au Tonkin un peuple qui n’attend qu’un signal pour se jeter dans les bras de celui qui le délivrera des Annamites, ses oppresseurs depuis le commencement de ce siècle : dans les nôtres si nous les ouvrons, dans ceux de l’Espagne, de l’Allemagne ou de l’Angleterre, si nous les tenons fermés. La magnifique situation que nous nous sommes faite en Cochinchine, la richesse croissante de cette colonie, nous défendent de nous laisser supplanter dans un pays qui en est voisin et où il ne tient qu’à nous de nous installer. La France, nous en avons l’espoir, ne se dérobera donc pas à la mission à laquelle elle semble appelée depuis longtemps ; elle ne peut se refuser à reprendre sous d’autres latitudes ce qu’elle a perdu chez elle en territoire et en population,


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N’en déplaise aux favorisés du sort et de la fortune, les triomphes trop faciles n’ont généralement pas une longue durée. Le