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philosophie que la philosophie de l’histoire. Toutes les intelligences de notre siècle sont tournées de ce côté. Le reste n’est que système, illusion, chimère et chaos… L’histoire est, en outre, une source inépuisable de poésie, non pas peut-être de la poésie de la nature, poésie remplie d’attraits et de charmes infinis, je le sais, mais qui conduit aussi à la rêverie, à l’isolement, et qui finit toujours par absorber l’homme, né pour l’action, mais d’une poésie que j’appellerai humaine, de la poésie du triomphe et de la victoire. Tous les vrais hommes d’action ont été de grands poètes, à commencer par Alexandre et à finir par Napoléon. J’ai lu dans les Mémoires de Napoléon un mot qui m’en a plus appris sur son génie et sur son âme que tout ce que j’en ai jamais entendu dire. Ce mot bien simple, qui m’a frappé l’esprit comme un éclair (il est à remarquer que M. Lanfrey ne s’en est plus souvenu quand il a écrit son Histoire de la campagne d’Italie) est celui-ci : « En janvier, je passai une nuit sur le col de Tende, d’où au soleil levant je découvris ces belles plaines qui depuis longtemps étaient l’objet de mes méditations : Italiam ! Italiam ! » Il y a dans ces deux mots : Italiam ! Italiam ! un monde de poésie. Demandez à Lamartine s’il y a de la poésie dans l’action…


Une maladie nerveuse, qui mit par deux fois les jours de Lanfrey en danger et dont il a toute sa vie ressenti les atteintes, vint encore, pendant le cours des années 1848 et 1849, apporter au ton naturellement exalté de sa correspondance une recrudescence à laquelle la fièvre avait peut-être quelque part. Il avait passé nombre de nuits à compter, dit-il, les solives de son plafond. « Comme Job, j’ai vu tous mes amis de Chambéry passer près de mon lit de douleur en détournant la tête ou en me jetant la pierre. Ils comptaient bien que je n’en reviendrais pas. » Cependant un fidèle ami de Paris lui a envoyé le Raphaël, de M. de Lamartine, qui venait de paraître.


… Combien je te remercie de m’avoir envoyé ce livre consolateur ! Il y avait longtemps que je n’avais pour tout sentiment dans l’âme que la colère et l’ironie. Tu ne saurais croire combien j’ai pleuré en le lisant, pleuré sur les rêves sans nombre, sur les inspirations généreuses, sur l’enthousiasme tumultueux et presque sauvage qui me faisaient oublier les heures sur ce lac que j’ai tant aimé, au milieu de cette nature vivante avec laquelle tout mon être était pour ainsi dire identifié. Moi aussi, j’en ai parcouru toutes les anses et tous les golfes ; moi aussi, je me suis penché sur ses abîmes en écoutant le bruit de ses vagues ; moi aussi, je me suis assis sur ses rivages, au pied des hauts châtaigniers, les yeux fixés sur l’horizon éblouissant d’azur et de soleil, et la pensée perdue dans la contemplation de l’infini. Mais je