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donc souvent un principe de concentration au lieu d’être un principe d’expansion. Ce n’est pas sans raison qu’on a appelé l’amour de l’humanité du nom de fraternité. Aussi M. Littré est-il finalement obligé d’étendre ce terme de sexualité au-delà des limites ordinaires : il nous dit qu’il faut entendre par là « toutes les dispositions qui, pour faire durer l’espèce, déterminent l’ensemble d’impulsions aboutissant à l’amour, à la famille, puis, avec un caractère de généralité croissante, à la patrie et a l’humanité. » A vrai dire, comme la génération n’est pas nécessairement sexuée et que la distinction même des sexes n’est point originelle dans la nature ni dans la « substance vivante » proprement dite, mieux eût valu s’en tenir à cette proposition plus générale que l’égoïsme est la force de concentration due au besoin de se nourrir et l’altruisme la force d’expansion due au besoin d’engendrer. En effet, il y a dans l’être vivant un premier mouvement de concentration, de gravitation sur soi, par lequel il s’assimile les choses extérieures dont il a besoin ; ramener les autres choses à soi, voilà l’égoïsme, et voilà aussi la nutrition. M. Littré aurait pu donner comme exemple l’égoïsme instinctif et exclusif de l’enfant, qui, étant un être imparfait et incomplet, un être pour ainsi dire encore vide, a besoin tout d’abord de se nourrir, de se compléter, de se remplir, et qui pour cela tire tout à soi comme la plante aspirant le suc de la terre. Mais le besoin de nutrition n’est pas le seul : il faut, selon l’expression de M. Littré, que la substance vivante subsiste non-seulement comme individu, mais encore comme espèce. Nous ajouterons, avec Darwin (dont M. Littré rejette d’ailleurs la théorie transformiste au rang des hypothèses indémontrées), que l’existence même de l’individu présuppose celle de son espèce, ou du moins d’autres individus analogues à lui, puisque, sans son espèce, sans les individus analogues qui lui ont donné naissance, il n’existerait pas. Aussi l’hérédité et la sélection, dont M. Littré ne pourra refuser d’admettre ici l’influence, ont-elles nécessairement implanté dans l’individu certaines fonctions et certains besoins relatifs à l’espèce ; des individus dépourvus de ces fonctions ou de ces besoins auraient disparu sans se reproduire, sans laisser d’espèce après eux. Un être qui a été engendré a donc par cela seul un besoin et une capacité d’engendrer à son tour, capacité plus ou moins développée ou rudimentaire. Demandons-nous maintenant en quoi consiste la génération même dans ce qu’elle a de plus essentiel, d’après la science contemporaine, C’est simplement la reproduction d’une cellule par une autre, une sorte de prolongement et de répétition. — L’être, pourrait-on dire avec l’auteur de la Morale d’Epicure[1],

  1. Voir M. Guyau, la Morale d’Epicure et ses rapports avec les doctrines contemporaines