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vues : « De même qu’au sein de la période industrielle avait apparu la période morale, de même au sein de la période morale apparaît la période intellectuelle ; celle-ci, en comparaison des deux autres, n’a qu’un passé fort court, mais en revanche un immense avenir lui est ouvert ; la science, — cas c’est d’elle qu’il s’agit, — renouvelle d’une main le domaine industriel, de l’autre porte la lumière dans le domaine moral. Telle est la constitution de l’esprit humain que le vrai en est le point culminant ; le vrai, qui ensuite sert à tout[1]. » Le témoignage de l’histoire, à son tour, est corroboré par la physiologie cérébrale. Celle-ci, en effet, établit non-seulement que les facultés égoïstes et les facultés altruistes ont un même siège dans le cerveau, mais encore que les facultés intellectuelles résident dans le même lieu anatomique que ces deux groupes. Il en résulte que le développement même de l’égoïsme bien entendu, en perfectionnant le cerveau, perfectionne le siège des facultés altruistes, qui à leur tour entraînent le perfectionnement des facultés intellectuelles. Inversement, les vérités de l’ordre intellectuel, grâce à la connexion anatomique des cellules cérébrales, influent toujours sur les facultés affectives, soit que les cellules intellectuelles et les cellules affectives soient simplement voisines dans le cerveau, soit que les mêmes cellules deviennent intellectuelles ou affectives selon leur mode de vibration. Ainsi se produit un cercle perpétuel d’actions et de réactions entre l’intellectuel et le moral[2].

De cette théorie à la fois naturaliste et intellectualiste on peut rapprocher celle d’un philosophe qui, sans appartenir au positivisme considéré comme école, en est cependant voisin par les tendances de son esprit, M. Taine. Quoique ce dernier n’ait fait que donner sur la morale quelques brefs aperçus, il nous semble qu’on peut construire sa théorie de la façon suivante. Pour lui comme pour M. Littré, tout se ramène à des faits et à des nécessités. La vertu et le vice sont « des produits naturels comme le sucre et le vitriol ; » la morale montre comment ces produits sont engendrés, soit par la nature, soit par les hommes ; par cela même qu’elle nous enseigne les lois de leur composition, elle nous met à même de les produire ou de les modifier à volonté avec l’intérêt social pour but. Qu’est-ce donc qu’un bien ? Comment se classent et se produisent les différens biens ? Pour le savoir, consultons l’expérience et la logique. La nutrition est dans une plante un fait principal, dominateur, dont beaucoup d’autres ne sont que la préparation ou la suite. On peut donc dire que la plante tend à se nourrir, que la nutrition est pour elle une fin, un bien. « Généralisez ; le groupe

  1. La Science au point de vue philosophique, p. 491.
  2. Ibid., p. 340.