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Là encore, on constate le génie de domination des scandinaves qui, venus en petit nombre, s’imposent comme maîtres et recrutent pour se défendre contre la population du pays des indigènes qu’ils retiennent à leur service et dont ils réussissent à se faire obéir. Ce fut, comme on sait, la façon dont procédèrent les Carthaginois, qui soumirent avec des armées mercenaires un territoire étendu en Afrique et en Espagne. Les Anglais n’ont pas agi autrement dans l’Inde, où ils ont déployé le même génie de domination qui est un des traits caractéristiques de leur race. Les Varègues de la Russie prirent à leur solde un grand nombre de Slaves et de transfuges des pays finnois, et la présence parmi eux de ces auxiliaires indigènes est la raison pour laquelle on a parfois contesté aux Varègues leur origine scandinave. D’autre part, on ne saurait expliquer les expéditions victorieuses des Normands en France au VIIIe et au IXe siècle, sans admettre qu’ils recoururent aussi à l’assistance des hommes du pays. Une poignée de braves, quelque déterminés qu’ils eussent été, n’auraient pu suffire pour envahir des cantons fort éloignés de la mer et se rendre maîtres de cités importantes. Des témoignages contemporains autorisent à supposer que les Normands s’attachèrent bon nombre d’habitans qu’attirait l’appât du butin et qui grossirent l’armée dévastatrice. Plus les Normands pénétrèrent dans l’intérieur de l’Europe occidentale, plus ils durent recourir à la complicité de ces transfuges. Mais ce ne fut pas toujours à la tête d’armées ainsi raccolées qu’ils poussèrent au sud leurs invasions ; leur audace fit plus d’une fois toute leur force, et là où il ne s’agissait que de razzias sur la côte, l’équipage de leur flotte suffisait pour les effectuer. Ils avaient entendu vanter les richesses et la magnificence de cette Rome dont le nom, dès l’antiquité, parvint jusqu’aux extrémités du monde barbare. Si l’on en croit une tradition qu’on trouve consignée chez les historiens du Nord, un des chefs vikings le plus renommés, Hasting, mit à la voile avec cent bateaux et s’avança jusque sur les côtes méridionales de l’Espagne et au littoral de la Mauritanie, où aucun Normand ne s’était montré avant lui. Ainsi entré dans la Méditerranée, il ravagea les îles Baléares, puis se dirigea avec sa flotte vers la côte d’Italie, ne sachant guère qu’imparfaitement sa route et allant quelque peu à la découverte. Il atterrit près d’un port qu’il crut être Rome, à l’aspect des murs élevés flanqués de tours qui environnaient la ville. En réalité, Hasting et ses compagnons n’étaient arrivés qu’à l’embouchure de la Magra, au havre de Luna. Leur débarquement inopiné surprit les habitans pendant qu’ils célébraient dans l’église la fête de Noël. Mais Hasting, toujours au dire de la même tradition, fit avertir l’évêque et le comte qu’il venait simplement dans ce port réparer les avaries de ses navires, et afin d’enlever toute défiance à la