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C’est ainsi que les Danois en avaient agi dans leur propre pays pour se mettre à couvert des attaques de leurs voisins du sud. Dans le Jutland, on connaît encore, sous le nom de danevirk, le grand fossé qu’ils avaient creusé pour séparer cette presqu’île de la région sise au sud et qui s’étendait en longeant l’Eider d’un côté au golfe que la Baltique forme à Eckenfoerd, de l’autre à la mer du Nord. Un seul passage était ménagé sur cette longue ligne défensive pour les voitures et les voyageurs.

Les Saxons, dont les Normands continuèrent les habitudes, semblent en avoir agi ainsi. On sait en effet qu’ils s’étaient aussi emparés de quelques points de notre littoral. L’étude des noms de lieux a permis à un éminent géographe, M. Auguste Longnon, de dresser la carte de l’occupation des différens peuples barbares sur notre sol, à la chute de l’empire romain, et lui a fait reconnaître la présence à cette époque, dans le Boulenois ou pays de Boulogne, d’une colonie saxonne, analogue à celle que les textes de l’époque franque nous montrent avoir existé dans le Bessin ou pays de Bayeux[1]. C’est aux Saxons et aux Normands que remonte une fortification qui rappelle le danevirk et qu’on rencontre à l’ouest de ce dernier pays. Elle était formée d’un rempart dont on a retrouvé çà et là les pierres et d’un fossé dont on suit la trace près du promontoire de la Hague, dans le département de la Manche. Ce vieux retranchement est connu sous le nom de Hague-Dike. Il isolait le promontoire et formait, près la baie d’Omonville, une péninsule artificielle qui devint pour les envahisseurs une sorte de place d’armes. L’île de Noirmoutier servit aussi aux Normands de point de débarquement et de quartier-général pour leurs incursions dans la région qu’arrose la Loire. Sur le promontoire qui se détache au nord-est du canton que les Celtes de la Calédonie appelaient Catuibh, promontoire auquel on imposa pour ce motif le nom de Kataness, ce qui signifie le nez de Catuibh et d’où est dérivé le nom du comté de Caithness, les

  1. Il subsiste en effet dans cette région un certain nombre de noms de lieux d’origine germanique qu’il n’est point possible de faire remonter à des tribus saxonnes différentes de celles qui, au Ve et VIe siècle, envahirent l’Angleterre ; tels sont, par exemple, les noms d’Alincthun, Baincthun, Colincthun, Ferlincthun, Godincthun, l’erlincthun, Wadenthun, etc., dont on retrouve en Angleterre les homonymes à une légère différence d’orthographe près. La rareté des chartes de l’époque franque se rapportant au Boulenois ne permet sans doute pas de prouver l’antiquité de ces divers vocables, mais il est à noter que plusieurs apparaissent déjà dans des chartes du IXe siècle. C’est selon toute vraisemblance aussi à une colonie saxonne qu’on doit attribuer l’origine du nom de Verton, porté par un village du département du Pas-de-Calais, voisin de Montreuil-sur-Mer, et mentionné dès le VIIIe siècle. Divers indices tendent à faire croire que le Vimeu (pays de Saint-Valery-sur-Somme) et le pays de Caux avaient aussi reçu des colonies saxonnes.