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vous promettons de ne plus rien vous prendre, jusqu’à nouvel ordre du moins ; si quelques-uns de vos sujets viennent à se révolter, nous ne leur accorderons que notre appui moral ; sir Charles Dilke l’a dit, et sa parole fait foi. Pensez d’ailleurs qu’il y va de votre plus cher intérêt. On a commencé à vous démembrer : qui a bu boira, et c’est le commencement de la fin. Donnez aux Grecs dès ce jour Larissa, Metzovo, Janina et le reste, c’est la meilleure opération que vous puissiez faire ; n’est-il pas évident que ce que vous donnez, on ne pourra plus vous le prendre ? Que si vous demeurez sourds à nos argumens, cela prouvera une fois encore que vous êtes des barbares à l’esprit obtus, des fanatiques incapables de rien comprendre, et il passera pour démontré que le Coran est inconciliable avec les lumières modernes. » Les oreilles de la Turquie ne se sont point ouvertes et son cœur n’a point été touché ; elle a refusé de rien comprendre. Le sultan a répondu obstinément : « Je suis bien sensible aux assurances et aux preuves d’amitié que vous me donnez dans cette conjoncture comme à toutes celles dont vous me promettez de me combler plus tard ; mais il n’est pas dans nos habitudes, et peut-être n’est-il dans les habitudes d’aucun peuple et d’aucun souverain de céder des portions considérables de territoire à un voisin qui ne les a pas prises et qui serait incapable de les prendre. Si j’en usais de la sorte, non-seulement cela créerait un antécédent fâcheux, mais je ne serais pas en état de me faire obéir de mes sujets, et il se pourrait qu’avec mon honneur j’exposasse mon trône et ma vie. Quelque désir que j’aie de vous obliger et dussé-je passer pour un fanatique, je ne consens pas à faire la guerre aux Albanais ou Skhipétars mes sujets, pour les contraindre à se donner aux Grecs. » — « Puisqu’il faut faire la guerre, disait Louis XIV, j’aime mieux la faire à mes ennemis qu’à mes enfans. » — C’est à peu près ce qu’a répondu Abdul-Hamid, et tout cela en vérité fait penser à une fable de La Fontaine, car bien que La Fontaine n’ait fait parler que « les héros dont Ésope est le père, » toute la politique du jour est résumée dans ses fables.

Quand la persuasion demeure sans effet, quelle conduite doivent tenir les aréopages ? à quels moyens doivent-ils recourir ? Ni à Marseille ni à Mâcon, on ne s’est occupé de nous l’apprendre. Quant aux six puissances signataires, elles ont pensé qu’où la persuasion n’agit pas, il faut recourir à la force, et elles ont délibéré sérieusement sur les mesures à concerter en commun pour réduire l’obstination de la Sublime-Porte. Mais, pour agir en commun, il faut avoir les mêmes goûts, les mêmes inclinations, les mêmes intérêts, les mêmes visées. Le grand Frédéric, dont on peut dire, en lui appliquant une parole de M. de Metternich, qu’il était « le bon sens cristallisé, » écrivait le 28 février 1745 à un de ses conseillers privés de légation pour le prier « de faire entendre à lord Chesterfield, quoique avec toute la politesse imaginable, qu’à la vérité il y a des situations violentes en politique