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élémens intérieurs sur tout ce qui venait du dehors. Ce double phénomène éclate avec une évidence irrésistible dans chacune des grandes invasions qu’elle a subies ; on remarque sans peine qu’elle a toujours fini par affaiblir et éliminer ses vainqueurs, non en leur résistant ouvertement, mais en leur imposant ses mœurs, sa civilisation, son culte, ses idées, ses principes, les formes de son art et de sa pensée. En dépit de quelques brutalités passagères, les Perses se soumirent avec une surprenante facilité aux coutumes religieuses et civiles des Égyptiens. Il en fut de même des Éthiopiens, des Maschouasch, des gens venus des îles de la Méditerranée et des côtes de l’Asie-Mineure, dont les flots renouvelés se sont infiltrés sans cesse dans le sol si aisément perméable de l’Égypte. Longtemps cependant on a pu croire qu’une grande exception devait être faite à cette loi générale. Parmi les invasions que l’Égypte a subies et qui n’ont jamais interrompu d’une manière sensible le cours monotone de sa vie nationale, il semblait qu’il y en avait eu une dont le caractère particulier rappelait les plus terribles exemples de conquêtes barbares dont l’histoire fasse mention. Sur la foi de Manéthon, les hordes asiatiques qui se répandirent en Égypte à la fin de la quatorzième dynastie et qui y séjournèrent près de six siècles sous le nom de Hycsos, étaient regardées comme des bandes sauvages et dévastatrices, pareilles aux Huns et aux Vandales sous les pieds desquels la civilisation antique a disparu. Il semblait que la civilisation égyptienne eût subi une catastrophe du même genre, qu’un temps d’arrêt se fût produit au milieu de l’histoire de l’Égypte, qu’une période sans génie, sans monumens, sans art en eût troublé le développement régulier. « Il nous vint autrefois, dit Manéthon, un roi nommé Timaos, au temps duquel Dieu, je ne sais pour quel motif, était plus irrité contre nous : des gens de race ignoble, venue des contrées de l’Orient, se jetèrent à l’improviste sur ce pays et le subjuguèrent facilement et sans combat. Après la soumission de ses princes, ils brûlèrent avec cruauté les villes et renversèrent les temples des dieux. De plus, ils se conduisirent de la manière la plus barbare envers les habitans du pays, faisant périr les uns, emmenant en captivité les femmes et les enfans des autres. » Tableau émouvant qui rappelle les scènes les plus sombres des invasions barbares ! Les rédacteurs des papyrus ne s’expriment pas avec moins de violence que Manéthon ; aucun terme ne leur paraît assez injurieux pour qualifier ce ramas de voleurs, de brigands, qui avaient juré « d’arracher jusqu’à la racine de l’Égypte. » — « Le souvenir de leurs cruautés, dit M. Maspéro, resta longtemps vivant dans la mémoire des Égyptiens et excitait encore, à vingt siècles de distance, le ressentiment de l’historien Manéthon. La haine