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Il remontait donc à une époque indéterminée, mais perdue dans un insondable lointain ! Le monument le plus ancien dont la date soit connue, la pyramide à degrés de Saqqarah, qui est d’Onéphis et de la première dynastie, ne porte aucune trace d’hésitation ; c’est le produit d’une civilisation qui n’est plus en enfance depuis longtemps déjà. « La pyramide à degrés, l’admirable temple du sphinx, a dit M. Mariette, ne représenteront jamais une période d’incubation. » A l’autorité des monumens pourquoi ne pas joindre celle de la science ? Dès l’ancien empire, les Égyptiens avaient reconnu que l’année solaire se compose de trois cent soixante-cinq jours et un quart. Ce que représente d’observations accumulées, d’études savantes, de travaux et de réflexions une pareille découverte, tout le monde le sait ; il y aurait plus que de la naïveté de l’attribuer à un peuple à peine sorti du berceau. On n’ignore pas avec quelle précision sont orientées les Pyramides. Grands astronomes, les Égyptiens de l’ancien empire étaient aussi des médecins distingués, des littérateurs blasés, des moralistes désabusés. Le plus ancien des livres de morale, œuvre d’un certain Ptahhotep, fils d’un roi de la cinquième dynastie, est une compilation étrange portant toutes les traces d’un monde déjà vieux. Ptahhotep y recommande surtout « l’histoire des temps antérieurs, » l’étude « des paroles du passé. » Comme tous les vieillards, c’est derrière lui qu’il place la sagesse. « Analyser en détail son œuvre, dit M. Maspéro, est impossible : le traduire plus impossible encore. La nature du sujet, l’étrangeté de certains préceptes, la tournure du style, tout concourt à dérouter l’étudiant et à l’égarer dans ses recherches. Dès les temps les plus reculés, la morale a été considérée comme une science bonne et louable en elle-même, mais tellement rebattue qu’on ne peut la rajeunir que par la forme. Ptahhotep n’a pas échappé aux nécessités du genre qu’il avait choisi, D’autres avaient dit et bien dit avant lui les vérités qu’il prétendait exprimer de nouveau : il lui fallut, pour allécher le lecteur, chercher des formules imprévues et piquantes. Il n’y a pas manqué : dans certains cas, il a su donner tant de recherche à sa pensée que le sens moral de la phrase nous échappe sous le déguisement des mots[1]. »

Ainsi, dès la cinquième dynastie, les Égyptiens en étaient aux raffinemens de la littérature et de la philosophie ; est-il possible de croire qu’ils balbutiassent à la première ? Plus on avancera dans l’étude de leurs monumens, plus on verra sans doute s’éloigner le point précis où, abandonnant la vie sauvage, ils ont commencé à mener l’existence d’hommes civilisés. Leurs tombeaux,

  1. Maspéro, Histoire ancienne des peuples de l’Orient.