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l’harmonie éternelle du monde philosophiquement entrevue, comprise et expliquée[1]. Ainsi, à cette époque lointaine, l’Égypte avait déjà cherché la raison profonde des choses, et apercevant la divinité à leur source, elle avait donné un sens surnaturel aux innombrables manifestations de la vie et de la mort. Le symbole d’Hator dénote un immense progrès de la pensée humaine s’élevant de la barbarie première à une conception claire de l’ordre immuable et supérieur qui préside aux destinées du monde. Si les intuitions de l’art peuvent être spontanées, en est-il de même des découvertes de la réflexion ?

Les études préhistoriques sont trop peu avancées pour qu’il soit permis de parler avec quelque assurance d’une période archaïque dont nous ne possédons aucun monument authentique. Qui sait cependant si le sphinx des pyramides ne lui appartient pas ? A côté du sphinx est placé un temple d’une forme extraordinaire, qui ne ressemble en rien aux autres temples de l’Égypte ; on n’y voit ni obélisques, ni pylônes, ni corniche, ni colonnes, ni hiéroglyphes, ni tableaux, ni inscriptions d’aucun genre. C’est un cube énorme de maçonnerie, composé de blocs d’une grosseur telle qu’on ne trouve pas les pareils sur toute la surface d’un pays renommé cependant pour la grosseur des matériaux employés dans ses monumens. Si énigmatique que soit le sphinx, le temple l’est davantage encore. Est-ce réellement un temple ? N’est-ce pas plutôt un tombeau ? A quelle époque les fondemens en ont-ils été jetés ? Questions capitales pour la chronologie préhistorique. Le système qui a présidé à la construction de ce temple est des plus curieux : les blocs de pierre ne se coupent pas en lignes droites, avec des arêtes et des angles réguliers ; souvent un bloc empiète sur le voisin et le pénètre profondément ; il semble qu’ils aient été placés d’abord les uns à côté des autres, puis qu’on ait creusé dans les flancs de cette montagne artificielle, comme dans l’intérieur d’un rocher les salles du temple, en sorte que nous serions en présence d’un monument de transition entre l’époque où les hommes creusaient dans les rochers leurs demeures et leurs tombeaux et celle où ils ont inventé l’architecture.

Une stèle découverte par M. Mariette nous apprend que Chéops, le fondateur de la grande pyramide, a fait restaurer le temple du sphinx et y a fait déposer des statues de divinités. Ce temple, d’une si étonnante solidité, qui paraît avoir la consistance des œuvres de la nature, avait besoin de restauration au temps de Chéops !

  1. Voir sur le mythe d’Hator et sur les conséquences qui en découlent pour l’interprétation du dogme religieux, le travail de M. Ernest Desjardins dans la Revue du 15 mars 1874.