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pour des œuvres égyptiennes. Elles sont d’une ressemblance si parfaite qu’on peut reconnaître dans les coiffures, dans le mouvement des corps, dans les ustensiles et les accessoires ce qu’on rencontre encore tous les jours en Égypte. Les animaux ne sont pas reproduits avec moins d’exactitude. Ceux du tombeau de Ti sont surprenans. Il y a au musée de Boulaq une rangée d’oies du Nil peintes avec tant de précision que j’ai vu un naturaliste s’étonner que tous les caractères de la race aient pu être saisis et exprimés avec une telle fidélité. Les couleurs en sont aussi intactes que si elles venaient de sortir du pinceau de l’artiste. Dès la statue de Chèpren, cette première éclosion, libre et facile, du génie égyptien, semble s’arrêter. Mais si cette grande œuvre porte déjà l’empreinte de la rigidité qui allait frapper désormais l’art égyptien et couler ses productions dans un moule inflexible, elle reste encore comme un exemple éclatant du degré de perfection matérielle où était arrivé cet art à une époque qui dépasse toutes les origines historiques connues. Le modelé en est admirable, et lorsqu’on songe que cette statue a été sculptée dans un bloc de diorite, c’est-à-dire dans une des matières les plus dures qui existent, on se demande avec quels instrumens les anciens Égyptiens exécutaient de pareils ouvrages. On ne trouve chez eux aucune trace de fer. Serait-ce que le temps a détruit celui dont ils se servaient ou faudrait-il croire que ce fut avec des outils de bronze qu’ils taillaient des pierres que nous avons quelque peine à tailler aujourd’hui avec le fer et l’acier, qu’ils les découpaient merveilleusement, qu’ils leur imprimaient presque la souplesse de la nature vivante ? Mais, si cette dernière hypothèse est vraie, il fallait qu’ils eussent découvert une trempe particulière donnant au bronze la fermeté du fer ou de l’acier, et de pareilles découvertes peuvent-elles se faire chez un peuple enfant ?

Plus on examine la salle de l’ancien empire, plus on a de peine à croire que la civilisation dont elle nous apporte le témoignage et qui date de six ou sept mille ans, fut une civilisation naissante. Involontairement on se rappelle le passage célèbre où Platon en éloigne les débuts de quelques milliers d’années encore. Il s’agit de la musique et des divertissemens « que l’on tient des Muses. » Clinias demande : « Comment les Muses sont-elles réglées à cet égard en Égypte ? » L’Athénien répond : « D’une manière dont le récit va vous surprendre. Il y a longtemps, à ce qu’il paraît, qu’on a reconnu chez les Égyptiens la vérité de ce que nous disons ici : que dans chaque état la jeunesse ne doit s’exercer habituellement qu’à ce qu’il y a de plus parfait en figure et en mélodie. C’est pourquoi, après en avoir choisi et déterminé les modèles, on les expose dans les temples ; et il est défendu aux peintres et aux artistes,