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découvertes nouvelles nous aient mieux instruits d’une époque sur laquelle nous n’avons que de bien faibles lueurs, — au charme énigmatique de cette période de l’ancien empire, c’est qu’elle nous apparaît comme une sorte d’oasis placée entre deux inconnus. Si l’on ne jugeait que par les échantillons qui nous en restent, la civilisation sous l’ancien empire n’aurait pas eu d’enfance ; elle aurait poussé, il y a six ou sept mille ans, sur les bords du Nil, avec la rapidité des plantes égyptiennes qui grandissent, se développent et meurent en quelques années ; portée dès son origine au comble de la perfection, atteignant du premier coup son plus complet épanouissement, elle n’aurait pas traversé cette période de longs tâtonnemens, de lente préparation, qui partout ailleurs lui a servi de prélude. En revanche, elle aurait disparu comme elle était venue, sans transition. A la fin de la VIe dynastie, la civilisation égyptienne aboutit tout à coup à une sorte de vide béant, dans lequel elle s’abîme et s’engloutit pour ne renaître que quatre cent trente-six ans plus tard avec la XIe dynastie. Pendant quatre siècles et demi, pas une stèle, pas une statue, pas un tombeau, pas le moindre fragment de pierre, de bois ou de bronze ne nous apporte un témoignage quelconque de la persistance de la vie égyptienne. On dirait que le Nil, prolongeant des centaines d’années l’inondation qui ne dure d’ordinaire que quelques mois, a couvert durant des siècles le pays de ses eaux débordées. Rien de plus étrange assurément que cette sorte d’intermède, que cette lacune absolue dans les travaux du peuple le plus constructeur qui fut jamais.

Comment expliquer que les Égyptiens, qui bâtissaient sans cesse, aient pu se reposer si longtemps, que cette race affamée de gloire, qui aimait tant à couvrir ses monumens du récit de ses actions, ait pu garder un silence si prolongé ? On comprendrait une pareille léthargie si une invasion étrangère était venue suspendre l’activité nationale. Mais une invasion aurait laissé des traces ; elle ne se serait pas contentée d’arrêter les constructions, d’éteindre les arts, de supprimer l’industrie ; elle aurait mutilé les productions du passé, et les œuvres de l’ancien empire nous seraient parvenues avec la marque de. ses dévastations. Or rien de pareil ne nous est révélé par l’examen de ces œuvres. Comme l’a dit M. Mariette, « la civilisation égyptienne s’est effondrée dans un cataclysme d’autant plus inexplicable qu’il n’a rien laissé debout, pas même des ruines. » Quand elle renaît, quatre siècles plus tard, son caractère s’est profondément modifié ; on assiste à une sorte de renaissance où tout semble animé d’un esprit nouveau, transformé par un sombre génie dogmatique bien durèrent du génie gai, aimable, sceptique, terre à terre de l’ancien empire. Les noms propres des particuliers sont pour la plupart inconnus ; le style de la sculpture n’est plus le