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renouvelleraient l’histoire des origines du monde. La manière même dont il est né lui assigne un caractère particulier. A part une petite collection sans importance, achetée par Saïd-Pacha, il est tout entier le produit des fouilles faites depuis une vingtaine d’années en Égypte, sous la direction de notre illustre compatriote M. Mariette[1]. On s’explique sans peine combien cette origine a été favorable à son organisation scientifique. Tandis que la plupart des musées d’Europe sont formés d’objets achetés au hasard, suivant les circonstances, n’ayant bien souvent entre eux aucun rapport, celui de Boulaq est le résultat de recherches entreprises d’après un plan régulier et menées à bonne fin avec une admirable persévérance. Sur chaque période de l’histoire d’Égypte, le musée de Boulaq contient donc tous les renseignemens qu’une investigation intelligente a pu découvrir et qu’une critique sûre a réunis et classés. Ce n’est pas tout. « On sait, a dit M. Mariette dans son précieux catalogue, qu’à de rares exceptions près, les musées d’Europe ont été formés par l’achat de collections ramassées en vue du lucre, jamais en vue des progrès véritables de la science. La physionomie propre de ces collections est empreinte par là d’une sorte de tache originelle qu’il est impossible de méconnaître. On n’a pas, en effet, une idée juste de la valeur des fouilles exécutées en Égypte, si l’on pense que ces fouilles ont eu pour unique résultat la mise au jour des monumens conservés dans les musées d’Europe. Pour une stèle, pour une statue, pour un monument quelconque que les collectionneurs dont je viens de parler ont admis dans leurs séries, il en est vingt autres qu’ils ont abandonnés sur le terrain parce qu’ils les ont trouvés soit en débris, soit dans un état de conservation qu’ils ont jugé insuffisant. Or il est impossible que parmi ces monumens il n’en soit pas qui aient quelque valeur scientifique, et il s’ensuit qu’à la rigueur les musées d’Europe ont reçu de la main de ceux qui les leur ont vendues des collections qui, précisément par le travail d’épuration qu’on leur a fait subir, ont perdu de leur importance. » A Boulaq, au contraire, tous les fragmens livrés par les fouilles ont été étudiés avec soin ; si mutilés qu’ils fussent, si

  1. Je n’ai pas besoin de rappeler aux lecteurs de la Revue le beau travail où M. Ernest Desjardins a résumé l’ensemble des fouilles et des découvertes de M. Mariette (15 juillet 1874), ni la charmante étude, si lumineuse et si complète dans sa brièveté, où M. Ernest Renan en a tracé une rapide esquisse (1er avril 1865). Il y aurait quelque témérité de ma part à revenir sur des sujets si bien traités, si, depuis que les articles de MM. Renan et Desjardins ont paru, M. Mariette n’avait continué ses recherches et ne les avait fait porter principalement sur deux périodes, celle de l’ancien empire et celle des Hycsos, qu’il a éclairées d’une lumière toute nouvelle. On m’excusera donc d’essayer de compléter les renseignemens de MM. Renan et Desjardins, en disant à mon tour ce que j’ai vu en Égypte et ce qui s’y est fait dans ces dernières années.