Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et il avait aussi une manière particulière, parfois fort étrange, de les seconder. Peu éloigné de considérer les trente-quatre dynasties égyptiennes comme les aïeules de la sienne propre et de voir dans Ménès un ancêtre de Méhémet-Aly, il aimait à se dire que son règne serait rattaché par une série de beaux travaux scientifiques aux traditions des plus vieux âges. Mais quant à s’intéresser directement à ces travaux, quant à chercher à se faire initier à leurs résultats, jamais pareille idée ne lui serait venue. Il savait qu’il existait à Boulaq un musée connu du monde entier, renfermant des trésors inestimables, parcouru chaque année par de nombreux visiteurs : cela lui suffisait. Il n’y a pas personnellement mis une seule fois les pieds, n’éprouvant au fond aucun goût, aucun attrait pour des recherches qu’il favorisait par gloriole, qu’il payait avec libéralité, mais auxquelles il était tout à fait indifférent. Il est bon d’ajouter que les indigènes partageaient et partagent encore, hélas ! ses sentimens. De tous les ministres égyptiens passés et présens, un ou deux à peine savent ce que c’est que le musée de Boulaq et se sont donné la peine de venir en examiner de leurs propres yeux les admirables collections. Cette insouciance générale, cette ignorance universelle n’est pas sans danger pour le musée de Boulaq. C’est à elles qu’il faut attribuer tous les risques qu’il a courus, tous les dangers auxquels il est exposé dans l’avenir ; c’est contre elles par conséquent qu’il faut se prémunir si l’on veut qu’une œuvre aussi féconde, dont les origines sont françaises, ne succombe pas, dans un avenir peut-être assez rapproché, à l’inertie des Égyptiens combinée avec les convoitises des étrangers.

L’installation du musée de Boulaq est des plus défectueuses. La place qu’il occupe était jadis couverte par un pâté de masures délabrées appartenant à la compagnie du Transit et servant de magasins depuis l’expédition française. Ce sont ces masures qui ont été appropriées tant mal que bien à l’usage du musée. Dans la première ferveur de son enthousiasme égyptologique, Ismaïl-Pacha s’était proposé de donner aux collections de M. Mariette un logement princier. Plusieurs projets avaient été tour à tour mis en avant. Tantôt il s’agissait de construire un musée monumental à la pointe méridionale de l’île de Gezireh, tantôt de choisir entre les édifices déjà bâtis celui qui paraîtrait le plus digne de recevoir les statues et les stèles que des fouilles continuelles mettaient au jour. Le voyageur qui se rend aux Pyramides peut encore observer, à quelque distance de la route, de grands murs abandonnés offrant l’aspect de véritables débris antiques. Ce sont les fondemens d’un musée, égyptologique qui n’a jamais existé, qui n’existera jamais à cette place. Ils ont coûté de 60,000 à 80,000 francs ; mais à peine les avait-on jetés sur le sol mouvant de l’Égypte qu’on