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d’âge était assez considérable, puisque Sheridan avait près de quarante ans, mais le mauvais état de ses affaires et ses incurables habitudes de dépense en faisaient un mari très peu souhaitable. Un autre prétendant d’ailleurs allait se mettre sur les rangs, s’il n’y était déjà. Mme de Genlis raconte, en effet, que lord Edouard Fitzgerald avait vu Paméla pendant ce voyage et qu’il s’en était épris tout de suite. D’après Thomas Moore, au contraire, il l’aurait aperçue pour la première fois, l’année suivante, dans un voyage qu’il fit à Paris. Le récit de Mme de Genlis est bien plus vraisemblable. Comment admettre, en effet, que Paméla et sa mère adoptive, fréquentant à Londres la même société que lord Edouard, ne se soient pas rencontrées avec lui ? Il est plus que probable que, s’il se rendit à Paris, c’est parce qu’il l’aimait déjà et voulait se rapprocher d’elle. Ce voyage, comme on va le voir, eut une influence décisive, non-seulement sur sa vie privée, mais sur ses opinions.

Quoique membre de la chambre des communes d’Irlande par la protection de son frère aîné, lord Edouard, jusqu’à cette époque, s’était fort peu occupé de politique. Par tradition de famille, il était whig et votait avec les whigs ; toutefois il n’allait pas au-delà du libéralisme sage et prudent de lord Charlemont et de Grattan. Son séjour à Paris change brusquement le cours de ses idées. Il se grise du vin capiteux de la révolution. Les grands mots de fraternité et d’égalité, tant prodigués par les hommes de l’époque, séduisent cette nature ardente et généreuse. Sa correspondance avec sa mère, au milieu des effusions d’un amour filial aussi sincère que touchant, porte à chaque ligne les traces de l’enthousiasme que lui inspirent les idées du jour : « Dans les cafés, écrit-il, dans les lieux publics, on se traite mutuellement de camarades, de frères, et quand un étranger arrive, on lui dit immédiatement : Oh ! nous sommes tous frères ; nos victoires sont pour vous, pour tout le monde. »

Cet enthousiasme, qui peut faire sourire aujourd’hui, était sincère chez Edouard Fitzgerald comme chez beaucoup d’hommes de sa génération. Le jeune lord s’était intimement lié avec Thomas Paine, le célèbre démocrate anglais, alors réfugié en France. Les deux amis logeaient et dînaient ensemble. Ils assistèrent tous deux à un banquet donné par un certain nombre d’Anglais résidant à Paris pour célébrer les victoires de la France républicaine et la retraite des armées coalisées. Là un grand nombre de toasts furent portés, dont un à l’abolition des distinctions héréditaires. Edouard Fitzgerald, prêchant d’exemple, déclara aussitôt renoncer à son titre de lord, qui n’était d’ailleurs qu’un titre de courtoisie, comme on dit en Angleterre. À partir de ce moment, il se fait adresser ses lettres avec la suscription suivante : Le citoyen Edouard