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insurrectionnelle. Pendant quelques années, elle s’était contentée de faire de l’agitation légale, comme les autres sociétés du même genre établies en Irlande. Ses réunions jusqu’alors étaient publiques ; mais le gouvernement les ayant interdites en 1794,cette mesure eut un résultat tout opposé à celui qu’on en attendait. L’association, au lieu de se dissoudre, se changea en une société secrète et, sous cette forme, elle ne devint que plus dangereuse. Le principal auteur de cette transformation fut un avocat du barreau de Dublin, Wolfe Tone, homme énergique, actif et doué d’un remarquable esprit d’organisation. Les affiliés furent distribués en petits groupes de douze personnes, qui n’avaient point de relations directes les uns avec les autres, mais qui obéissaient à des comités locaux, tandis que ces derniers à leur tour recevaient le mot d’ordre d’un comité supérieur.

Cette organisation était établie depuis deux ans et commençait à étendre son réseau sur toute l’Irlande lorsque le rappel de lord Fitzwilliam vint détruire les espérances de conciliation que sa nomination avait fait naître. A dater de ce moment, l’idée de l’insurrection germa dans les esprits et fit de rapides progrès. L’exemple de l’Amérique, celui de la France, étaient faits pour tenter une population malheureuse et mécontente. La révolution française surtout, plus récente en même temps que plus bruyante et plus théâtrale, avait frappé les imaginations irlandaises, toujours faciles à séduire. Déjà, le 14 juillet 1792, dans la populeuse cité de Belfast, l’anniversaire de la prise de la Bastille avait été célébré en grande pompe. La Grande-Bretagne n’étant pas encore en guerre avec la France, la fête ne rencontra aucune opposition de la part de l’autorité ; mais elle n’en eut pas moins le caractère d’une menace évidente contre la domination anglaise. Détail significatif : aux quatre angles de la salle du festin se trouvaient, à côté du drapeau de l’Irlande, ceux de la France, de la Pologne et des États-Unis d’Amérique. Seul, le drapeau anglais brillait par son absence.

Quand le gouvernement révolutionnaire de France se trouva en guerre avec la Grande-Bretagne, il chercha naturellement à exploiter à son profit l’état des esprits en Irlande. Dès 1793, il faisait partir pour ce pays un agent secret chargé de se mettre en rapport avec les patriotes les plus ardens. L’année suivante, envoi d’un nouvel agent. Si ces deux missions n’eurent pas un résultat immédiat, elles contribuèrent probablement à faire naître dans certains esprits l’idée d’un recours à l’insurrection avec l’appui éventuel de la France. Une entente avec un gouvernement étranger paraissait toute naturelle à des hommes qui ne se considéraient pas comme Anglais, mais comme purement Irlandais » Les colonies