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irlandais pour la fondation et l’entretien d’un séminaire à Maynooth. On refusait aux catholiques les droits politiques, on ne prétendait pas du moins leur refuser les moyens de recruter les ministres de leur culte.

Toutefois c’était une concession bien insuffisante pour calmer les passions surexcitées. La situation s’aggravait de jour en jour. Les partis se préparaient non plus seulement à la lutte légale, mais à la guerre civile, que tout le monde prévoyait et que tout le monde contribuait à rendre inévitable. Des deux côtés, on était organisé et armé. En face de l’association des Irlandais-Unis, dissoute par l’autorité en 1794, mais reconstituée secrètement et d’une manière plus dangereuse, les partisans du gouvernement anglais avaient créé l’association orangiste, dont le nom significatif rappelait l’époque où Guillaume d’Orange avait battu et réduit à l’impuissance les partisans de Jacques II. Dès 1795, une première collision avait eu lieu près d’Armagh. La moindre étincelle pouvait allumer un incendie général. Le gouvernement, regardant la lutte comme inévitable, prit les devans et jeta résolument le gant à ses adversaires. Au commencement de 1796, le procureur-général d’Irlande, sir Arthur Wolfe, proposa au parlement une série de mesures exceptionnelles qui furent toutes votées à une forte majorité, malgré les efforts répétés de Grattan. Au mois d’octobre de la même année, on fit un nouveau pas dans cette voie : on demanda la suspension de l’habeas corpus. Grattan se leva une dernière fois pour protester contre cette atteinte portée à la liberté individuelle : « Je ne sais pas où vous nous conduisez, dit-il ; je vois devant moi un abîme épouvantable. » Son énergique résistance fut inutile. Au vote, il ne fut soutenu que par sept membres de la chambré des communes. Attristé et découragé, sentant venir une crise dans laquelle la voix de la modération ne réussirait pas à se faire entendre, il prit la résolution de quitter la vie publique. Aux élections générales qui eurent lieu quelques mois après, il pria ses amis de ne plus porter leurs voix sur son nom. Il se démit également de son grade d’officier dans un corps de propriétaires ruraux formé pour maintenir l’ordre. Il resta donc complètement étranger aux douloureux événemens qu’il avait prévus et que nous avons maintenant à raconter.


II

Nous avons déjà parlé de l’association des Irlandais-Unis. Nous avons dit que sous l’influence de quelques-uns de ses membres les plus importans, elle ne tarda pas à devenir le cadre d’une armée