Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saison, à près de 1,200 mètres au-dessus du niveau de la mer, sont venus du delta brûlant du Nil ? On a souvent cité l’indifférence des Grecs pour les climats à travers lesquels les traîna, durant douze années, Alexandre ; les Fellahs, ce me semble, ne le cèdent en rien, sous ce rapport, aux guerriers de la Macédoine. La bataille de Koniah durait depuis près de deux heures, quand le grand vizir, égaré dans le brouillard, fut fait prisonnier. Cinq heures et demie encore, les Turcs résistèrent : résistance héroïque qui ne put que retarder la déroute ; le 20 janvier 1833, l’armée égyptienne marchait sur Constantinople. Elle y eût fait sans aucun doute une entrée triomphale si l’Europe entière ne se fût jetée en travers. La paix fut signée le 8 avril.

Le sultan mit six ans à préparer sa revanche : instructive leçon pour les étourdis qui s’imaginent que l’ascendant militaire se déplace aisément entre deux campagnes ! Le théâtre seul de la défaite fut changé. On combattit cette fois entre le Taurus et l’Euphrate, non plus par 14 degrés de froid, mais par 45 degrés de chaleur. Le 21 juin 1839, Ibrahim reconnaît les positions de l’armée turque ; ces positions sont trop fortes pour qu’il se hasarde à les aborder de front. Est-il beaucoup plus prudent d’essayer de les tourner ? Cette marche de flanc à travers une longue gorge qui déroule ses sinuosités presque à portée du canon ennemi ne sera-t-elle pas une des opérations les plus aventureuses que jamais général ait tentées ? Combien les conseillers prussiens d’Hafiz-Pacha, M. de Muhlbach, le baron de Moltke, M. Laoué, durent maudire, en ce jour, l’inertie fataliste qui retint l’armée ottomane dans ses lignes ! Ibrahim-Pacha eut l’immense mérite de pressentir que cette inertie ne ferait pas défaut à son audace. Le grand homme de guerre est celui qui connaît le mieux le tempérament de son ennemi et qui sait tirer parti de toutes les faiblesses que la fortune met sur son chemin. De chaque côté 40,000 hommes environ et 150 bouches à feu s’apprêtaient au combat. Tourné par Ibrahim, Hafiz-Pacha s’était vu contraint de sortir de ses retranchemens et d’exécuter un complet changement de front ; il livra bataille ses positions à dos. Le sort des armes lui fut aussi contraire qu’il l’avait été -à Méhémet-Reschid. L’Europe coalisée s’entendit de nouveau pour ravir l’empire à demi conquis au vainqueur. L’Europe gardait pour elle l’opulent héritage ; veuille le ciel qu’elle n’ait point à se repentir d’avoir laissé aux générations futures semblable proie à se disputer !

L’empereur Napoléon exagérait à coup sûr la portée de son échec quand il se plaignait que Sidney Smith, sous les murs de Saint-Jean-d’Acre, « lui eût fait manquer sa fortune. » — Sidney Smith ne l’a pas empoché d’acquérir une gloire devant laquelle toutes les