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dans cet instant critique, les Macédoniens n’étaient survenus en masse. Ils enlèvent Alexandre et l’emportent évanoui. Le dard avait pénétré entre les côtes : on réussit à scier le bois de la flèche et l’on put alors enlever au blessé sa cuirasse. Pour arracher le fer, large de trois doigts, long de quatre, il fallut pratiquer dans les chairs une profonde incision. L’opération fut longue et douloureuse, accompagnée de nombreuses défaillances : le dard enfin abandonne la plaie ; Alexandre revient à la vie. La convalescence exigeait de grands soins, un absolu repos ; au bout de quelques jours, les Macédoniens s’alarment ; ils craignent qu’on ne leur cèle la mort du roi, qu’on ne leur dissimule tout au moins la gravité de son état. Attroupés autour de la tente royale, ils demandent à voir leur souverain. Le tumulte prend peu à peu l’accent et l’aspect de la révolte. Alexandre, étendu sur sa couche, entend ces clameurs : Il s’habille, et, d’un pas que son âme héroïque trouve, encore le moyen d’affermir, il va sacrifier aux dieux. Macédoniens ! élevez des autels au roi qui vous est rendu ; ce n’est pas moi qui vous en blâmerai.


III

L’Asie-Mineure a connu d’autres conquérans qu’Alexandre. Elle a vu passer tour à tour dans ses plaines Cyrus le Jeune, Trajan, Julien, Héraclius, Godefroi de Bouillon, Tamerlan et de nos jours même, le fils de Méhémet-Ali, Ibrahim-Pacha. Les uns ont dû forcer une double ceinture de montagnes, le Taurus, boulevard de la Cilicie, l’Amanus, rempart non moins escarpé de la Syrie ; les autres n’ont eu qu’à suivre la vallée de l’Euphrate. Ce sont tous de grands capitaines ; le plus grand, s’il était permis de lui attribuer exclusivement le mérite de ses foudroyantes campagnes et de n’en rien laisser à ce colonel français qu’une heureuse fortune lui avait donné pour lieutenant, serait, à coup sûr, Ibrahim. On ne saurait, en effet, oublier que ce chef d’une armée qui, hier encore, combattait à la turque, a eu le singulier honneur de sortir victorieux d’une rencontre où les plus vaillantes troupes de l’empire ottoman l’attendaient dans des positions choisies de longue date, fortifiées à l’avance et couvertes de tout le prestige de la science allemande. De quels précieux conseils, en effet, son adversaire ne se présentait-il pas entouré ! Un seul nom dira tout : M. de Moltke était au nombre de ces officiers prussiens sur lesquels reposait le principal espoir d’une Europe hostile, et dont la tutelle devait suppléer à l’insuffisance d’Hanz-Pacha. Dieu nous garde d’infliger à ce nom illustre l’apparence même de la plus légère responsabilité dans la défaite !