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si j’essayais de lui découvrir dans l’histoire un ancêtre. Ce serait bien plutôt un Alexandre : je parle évidemment de l’homme et non du capitaine. Le trait distinctif d’Alexandre, c’est la grâce ; c’est aussi par sa grâce plus encore que par son génie que Bonaparte a séduit le peuple français. Il eut « Minerve pour guide et Apollon pour protecteur. » Le grand Frédéric n’était point de l’avis d’Alcibiade ; la flûte ne lui a jamais semblé « un instrument méprisable. » Eût-il réprouvé davantage les luttes du pugilat et du pancrace ? J’ignore complètement quelles étaient les idées d’Alexandre et de Napoléon en fait de musique ; je soupçonne le premier d’avoir cultivé la lyre et le second d’avoir étudié la guitare ; je crois pouvoir affirmer que tous les deux ont eu et ont témoigné la même répugnance pour les athlètes. Ni les grands déploiemens de force brutale, ni les voluptés grossières ne pouvaient avoir de charme pour ces natures ardentes, mais si fines en même temps et si délicates. L’amitié fut leur rêve ; les déceptions amères ne devinrent que trop souvent leur lot. Philotas complote la mort de son bienfaiteur, Clitus le noir, pris de vin, l’outrage, Harpalus s’enfuit avec ses trésors, Callisthène, sous le masque de l’austérité philosophique, excite les Macédoniens à la révolte ; les dissensions d’Éphestion, de Cratère, d’Eumène font retentir le palais du cliquetis des épées, et ce souverain, dont les ornemens royaux recevront, après sa mort, des sacrifices, dont le diadème, le sceptre et la couronne, dieux fétiches de généraux impuissans à s’entendre, seront censés distribuer des ordres et présider à l’administration de l’empire, ce souverain, méconnu par ceux qu’il a le plus aimés, se verra forcé, sur la fin de son règne, de mettre sa personne sous la garde des vaincus, comme Orkhan mit la sienne sous la protection des janissaires. Les Perses lui fourniront une phalange dévouée de 30,000 guerriers ; il se rencontrera chez les Macédoniens assez de mécontens pour qu’on en puisse former tout un corps à part, sous le nom de « bataillon des indisciplinés. »

« Calomniez, a dit Beaumarchais, il en reste toujours quelque chose. » L’homme qui n’avait connu, avant son mariage avec Statira, et plus tard avec Roxane, d’autre femme que Barsine, la veuve de Memnon, l’homme qui, à trente ans, pouvait passer devant tant de captives, « le tourment des yeux, » comme devant « des statues inanimées, » ce même homme qui se glorifiait d’avoir, dès son enfance, fait choix de deux excellens cuisiniers, — pour le dîner une promenade au lever de l’aurore ; pour le souper, un dîner frugal, — nous est représenté par la majorité des chroniqueurs comme vivant au milieu des orgies. C’est du sein d’une orgie, nous dit-on, c’est sur la provocation d’une courtisane, qu’il se lève pour donner