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Les mesures qu’on a prises étaient réclamées par l’opinion ; elles ont paru toutes bonnes au début, mais à l’usage aucune n’a réussi ; c’est toujours à recommencer. Il faut que le mal soit très profond pour avoir résisté à tant de remèdes.

Mais, s’il est difficile de le guérir, il est aisé d’en découvrir la cause. Tout le monde reconnaît que le baccalauréat a perdu son ancien et son véritable caractère. Il n’était au début, il n’aurait jamais dû être qu’une sorte de vérification de la force des élèves, une manière de constater qu’ils avaient suivi leurs classes jusqu’au bout et qu’ils en avaient tiré quelque fruit. Il est devenu un examen indépendant et tyrannique qui exerce une influence souveraine sur tout notre système d’éducation. Les rôles se sont trouvés tout à fait changés ; au lieu d’être fait pour les études, de se modeler sur elles, il a forcé les études à se régler sur lui. Dès la troisième, il est le phare qu’on ne quitte plus des yeux. On ne fait plus ses classes pour elles-mêmes, on n’apprend plus pour apprendre, on abandonne l’étude désintéressée, la seule qui profite à l’esprit ; on ne pense qu’à être bachelier. Comment voulez-vous qu’on songe encore à se laisser émouvoir par les œuvres des grands écrivains, qu’on les lise avec passion, qu’on leur livre son âme ? Toutes ces émotions sont inutiles à l’examen ; c’est du temps perdu, et l’on n’a pas de temps à perdre quand il s’agit de préparer d’aussi formidables programmes. Il arrive donc que les bons élèves, qui se sentent prêts pour l’examen, se hâtent de le subir. Ils franchissent des classes, ils demandent des dispenses pour avoir plus tôt fini, et il faut avouer que, s’il ne s’agit plus que d’être bachelier, ils n’ont pas tort de le devenir aussitôt qu’ils le peuvent. Quant aux médiocres et aux mauvais, qui voient flamboyer à l’horizon de leurs études la sinistre épreuve, ils y songent avec terreur, et, au lieu de faire tranquillement leurs classes et d’écouter leurs professeurs, se nourrissent de résumés, ils apprennent des réponses toutes faites et ne cultivent que la littérature de manuel, la pire de toutes. Encore quelques années de ce régime, et notre instruction classique sera perdue.

Que faire pour échapper à ce danger ? Supprimer le baccalauréat ? C’est un remède héroïque auquel on se résignerait assez volontiers si l’on ne craignait qu’il n’en sortît un mal encore plus grand. N’oublions pas que nous sommes régis par la loi de 1850, et que chez nous l’enseignement est libre. J’ajoute qu’il n’est pas à souhaiter qu’il cesse de l’être : la liberté a de grands avantages auxquels on ne doit jamais volontairement renoncer ; mais elle a aussi des inconvéniens dont il faut se préserver le plus qu’on peut. S’il n’y a plus d’examen, à la fin des classes, quelle garantie