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peine à supporter ces catégories diverses de collèges destinées à des classes différentes de la société. D’ailleurs notre esprit est ainsi fait que, dans les institutions politiques comme dans les œuvres littéraires, il aime avant tout ce qui lui paraît simple, régulier, uniforme. Un seul genre de collège, comme il n’y a qu’une administration et qu’une magistrature, une éducation commune pour tout le monde, voilà son idéal, et il aurait peu de goût pour cette séparation des élèves entre des maisons différentes qui ont chacune un système particulier d’enseignement. Je crois pourtant que notre public commence à s’y faire et que les anciens préjugés sont en train de s’effacer. L’enseignement spécial, fondé par M. Duruy, et qui fut accueilli d’abord avec si peu de faveur, entre tous les jours dans nos habitudes. D’après les dernières statistiques, nous voyons que, dans les collèges communaux, il partage à peu près les élèves avec l’enseignement classique[1]. Ses progrès sont beaucoup plus lents dans les lycées, où il n’a que 8,696 élèves contre un peu plus de 32,000. Ce n’est pas beaucoup encore, et il faudrait peut-être renverser ces proportions pour être dans la vérité. Dix mille élèves suffiraient, je crois, à pourvoir les professions libérales, si misérablement encombrées, si pauvres d’avenir, tandis que ce ne serait pas trop de trente mille jeunes gens pour préparer à toutes les carrières du commerce et de l’industrie. Mais enfin l’élan est donné, l’institution existe ; elle commence à produire quelques fruits. Il faut la perfectionner, la doter de ressources suffisantes et de professeurs capables, la relever dans l’opinion publique. Nous sommes tous intéressés à ses succès, et les lettres en profiteront autant que les sciences, car l’enseignement spécial, en débarrassant les classes de nos lycées de tous ceux qui ne sont pas faits pour les suivre, sauvera l’enseignement littéraire.

C’est ce qui certainement arrivera dans l’avenir ; mais, en attendant, l’administration de l’instruction publique, qui craignait sans doute de se heurter à des préjugés tenaces, n’a pas voulu en venir à ces mesures radicales et instituer des établissemens distincts pour les vocations différentes. Elle est restée fidèle au type unique de l’ancien collège universitaire où les lettres et les sciences sont enseignées ensemble à tout le monde, et à peu près dans les mêmes proportions. Il ne lui restait donc, pour contenter ceux qui se plaignent toujours qu’on accorde trop au grec et au latin, qu’à recourir au moyen qu’on a si souvent employé et sans beaucoup de succès, à faire des concessions nouvelles, à ouvrir plus largement nos lycées à l’étude des langues vivantes, de l’histoire, des

  1. Enseignement classique, 14,992 élèves. — Enseignement spécial, 14,012.