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P. LANFREY

I.
JEUNESSE — ANNÉES D’ÉPREUVES

Œuvres complètes et Correspondance inédite

Dans notre pays, qui a traversé, sans en adopter aucun, tant de régimes divers, les partisans de ces régimes si vite tombés continuent malheureusement à garder, les uns contre les autres, les préjugés les plus vivaces. Pareilles divisions risquent d’être fatales aux nations qui disposent de leurs destinées. Cependant les esprits médiocres ne s’en inquiètent guère parce qu’ils n’entrevoient rien au-delà, et les violens s’y complaisent parce qu’elles servent leurs détestables passions. En France, quand une opinion a triomphé, ceux qui l’ont soutenue avec le plus de fanatisme ne manquent jamais de se considérer comme les maîtres absolus du nouvel ordre de choses ; l’exploiter à leur profit, continuer la bataille même après la victoire, afin d’accabler les anciens adversaires, voilà toute leur politique. Combien rares ont été, à toutes les époques, les hommes d’État capables de résister aux grossiers entraînemens de la foule réclamant, après chaque changement, la satisfaction de ses rancunes ou de ses appétits ? À quelles colères, à quelles injustices n’ont-ils pas été en butte de la part des exaltés de leur parti ? Ces colères et ces injustices, il est, vrai, n’ont qu’un temps. Elles cessent quand vient l’heure de la défaite, qui, chez nous, ne se fait guère attendre avec ses dures leçons, et le langage change alors complètement. Après la chute de la restauration, on ne rencontrait plus d’ultras. Tous les royalistes évoquaient d’un commun accord les souvenirs de MM. de Serre, Royer-Collard, Martignac, revendiquant ainsi, pour le plus