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travail qu’accomplissait en même temps la théologie chrétienne, on distingue vite les imperfections qui en compromirent le succès.

D’abord on est très frappé de voir combien les raisonnemens de Julien sont subtils et obscurs. Il fallait, pour saisir son système et le suivre dans tous ses détails, un esprit rompu à la dialectique des écoles et familier avec les théories les plus délicates des platoniciens. Il s’en est bien aperçu lui-même et n’en paraît pas fort affligé. « Peut-être, dit-il, les idées que je viens d’exposer ne seront-elles pas comprises par tous les Grecs ; mais ne faut-il rien dire que de vulgaire et de commun ? » On voit clairement ici à quel public il veut s’adresser, et qu’il écrit seulement « pour les heureux adeptes de la théurgie. » En le faisant, il était fidèle à l’esprit de la philosophie antique, qui ne se communiquait pas à tout le monde, qui choisissait et éprouvait ses disciples, qui avait un enseignement extérieur et superficiel pour la foule, un enseignement secret pour les privilégiés. Mais le christianisme n’acceptait pas ces distinctions aristocratiques. Il prêchait à tous le même évangile, et ce qui attirait surtout le peuple dans ses églises, c’est que tous les fidèles s’y sentaient unis dans la même foi et qu’on leur reconnaissait à tous un droit égal à la vérité. Julien avait tort de se consoler si aisément de n’être pas compris du vulgaire : il faut bien songer au vulgaire, quand c’est une religion et non pas une philosophie qu’on prétend fonder.

C’était donc pour lui un premier désavantage : en voici un second qui n’est pas moins grave. Toutes ces belles théories qu’il développe avec tant de plaisir ne sont après tout que les spéculations d’un esprit isolé, des idées philosophiques qu’on discute comme les autres et non des dogmes qui s’imposent à la foi. Julien prétendait pourtant en faire des dogmes véritables, et il leur en donne le nom dans un passage curieux où il les compare aux systèmes créés par les astronomes pour expliquer les cours des planètes. Ce sont ces systèmes qui lui paraissent n’être que des hypothèses, c’est-à-dire « des probabilités en harmonie avec les phénomènes ; » tandis qu’au contraire les théories de Platon, qu’on appelle quelquefois des hypothèses mystiques, sont pour lui des dogmes « attestés par les sages qui ont entendu la voix même des dieux ou des grands démons. » Nous saisissons ici, à ce qu’il me semble, la pensée véritable de Julien. Il sait bien qu’un dogme a besoin de s’appuyer sur une révélation, et c’est aussi sur une révélation qu’il fonde la certitude des siens. Il reconnaît qu’on ne parvient pas à découvrir la nature divine sans le secours des dieux, mais il croit fermement que les dieux se communiquent à ceux qui les cherchent, qu’ils se mettent en rapport avec eux par les rêves et l’extase, qu’ils font entendre leur voix secrète au cœur qui veut les connaître, en